LE BULLETIN DU COMMERCE (17 FEVRIER 1900) : Naufrage de l'Emile Renouf

Troisième semaine de février.

Article de tête du Bulletin du Commerce de la Nouvelle-Calédonie, journal hebdomadaire de Henri Legras.

 

Le numéro du 17 février 1900 publie le récit de l'un des nombreux sinistres survenus dans les parages des côtes de Nouvelle-Calédonie : le naufrage de l'Émile Renouf, un quatre mâts de construction récente effectuant le transport de minerais qui a heurté un récif non encore répertorié sur les cartes

 

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NAUFRAGE DE 'l'Émile Renouf'

 

L'Emile Renouf, quatre mâts français du port du Havre capitaine Boju, s'est perdu le 6 au soir sur un récif inconnu, qui serait situé dans les parages du récif Durand, à environ 30 milles au Sud-Est de Maré et 60 milles de l'île des Pins.

L'Émile Renouf avait chargé à Thio 3,452 T. nickel et 199 T. cobalt à destination de Glasgow.

Il était parti de Thio le 2 février, à 5 heures du matin, et avait franchi la passe à 7 heures. Jusqu'au 6, il avait louvoyé entre la Nouvelle-Calédonie, les Loyalty et les Nlles-Hébrides, contrarié par un fort vent debout. D'après son estimation ; le capitaine jugeait être au large de tout récif et faire pleine route pour doubler l'île des Pins.

À 6 h 55 du soir, à la tombée de la nuit, la vigie descendait de son poste, signalant «aucun changement dans la couleur de l'eau». À ce moment, le voilier avait une vitesse de 4 nœuds environ. La mer était houleuse mais sans écume.

À 7 h 10, exactement, le navire donnait un fort coup de talon, suivi de plusieurs secousses ; il était impossible de se tenir debout ; le navire était coulé tendant à s'incliner sur bâbord, l'eau l'avait envahi ; la mâture était ébranlée violemment, menaçant de tomber, toute opération de sauvetage quelconque était impossible, les embarcations tribord ne pouvaient être mises à l'eau : seules, une baleinière et un youyou de bâbord purent être manœuvrés et amenés par l'équipage.

L'équipage comprenait 33 hommes et 2 passagers : la femme du capitaine et son enfant. M. Boju a quitté le bord le dernier, à 8 h moins le quart, rassemblant en hâte ses papiers, dont malheureusement une partie est tombée à la mer, et veillant au salut de ses matelots ; tous sont unanimes pour reconnaître et rendre justice au courage et au sang froid de leur capitaine dans cette catastrophe. C'est du reste un équipage qui nous paraît des mieux composés, tous marins disciplinés et bien entraînés.

Le poste d'échouage était environ S.O.- N.E, l'avant du navire était sur un fond de 10 mètres environ, l'arrière de 8 mètres. Il était impossible de rester plus longtemps à bord, la gîte à tribord s'accentuait, la mature fouettait violemment, une partie des galhaubans étaient coupés, le navire paraissait être cassé vers le grand mât avant.

La baleinière contenait 26 hommes et le youyou 9, en fait de vivres, il n'avait pu être embarqué que quelques boîtes de bœuf bouilli, du biscuit mouillé et une dame-jeanne de vin, les dames-jeannes d'eau s'étaient brisées. Un compas d'embarcation avait pu être emporté.

La baleinière qui avait sa voilure remorqua le youyou ; on fit route sur la terre.

La nuit fut terrible pour ces pauvres gens, sans vêtements, presque sans vivres, dans des embarcations trop chargées, se sentant à la merci du moindre coup de vent, sachant que les mauvais temps sont fréquents en cette saison. Mais une forte brise arrière les favorisa, et le 7, à 11 h du matin, ils aperçurent la terre.

À 7 h du soir, ils entraient dans le canal de la Havanah où ils rencontraient à la hauteur de Mèfao le ketch «la Perle», capitaine Boulanger qui recueillit les naufragés mourant de soif, à moitié nus. Le 8 à huit heures du matin, «la Perle» entrait à Nouméa.

L'Emile Renouf avait été construit en 1897 au Havre. C'était son troisième voyage en Nouvelle-Calédonie.

La société que représente la maison Brown et Corblet, est poursuivie cette année par la malechance : après les aventures de «l'Émilie Siegfried», qui vont lui coûter gros, (ce navire est arrivé dans la colonie le 13 juillet et n'a pas terminé son chargement), c'est la perte complète d'un de ses bâtiments qu'elle a à enregistrer.

L'équipage tout entier va être rapatrié par le premier courrier, il formera au Havre l'équipage d'un autre voilier en armement.

Une souscription vient d'être ouverte par les journaux de Nouméa en faveur des naufragés.

Le 10 courant, le représentant des assureurs s'est rendu sur le lieu du sinistre, à bord de «l'Émilie», accompagné du second et du lieutenant de l'Emile Renouf.