Le Furet - (3 mars 1895) : Prévisions d'Avenir

Le Furet, "Journal de Bourail", "Revue hebdomadaire" était une feuille autographiée. J'ignore si le procédé d'imprimerie utilisait les pierres lithographiques locales ou des feuilles de zinc ou de cuivre, toujours est-il que l'écriture est une scripte ronde, claire et facile à lire, ne comportant pas plus de fautes que les lignes d'un journal typographié. L'emploi des virgules est toutefois un peu anarchique et, dans le fil de la rédaction, quelques mots peuvent parfois être éclipsés, on en a un exemple ici [*] où il manque visiblement "ce qui serait arrivé" pour que la phrase soit correcte. J'ai scrupuleusement respecté la ponctuation et les deux fautes d'orthographe que comporte le texte.

Pour ce qui est du contenu, j'ai été frappé par la similitude de la situation décrite ici avec la situation que j'ai trouvée à Bourail durant le séjour que j'y ai fait de 1974 à 1980 : il n'y avait plus de pénitencier, mais beaucoup d'agriculteurs-éleveurs avaient durant les années précédentes, années du "boom du nickel", abandonné leurs champs et avaient acheté un camion pour s'établir "rouleurs sur mines", ce qui était plus lucratif ; les cyclones ("Alyson" notamment) pouvaient causer l'inondation du village car le bras de la rivière Néra qui donne sur la Roche Percée était fermé, non seulement par un envasement naturel mais aussi, cette fois, par un empierrement mis en place pour se rendre jusqu'à l'hôtel-restaurant "El Kantara", et s'il n'y avait plus de commandant de pénitencier pour prendre l'initiative de faire ouvrir ce bras de rivière, une fois au moins la nature y a suppléé : la petite digue a cédé sous la pression du courant.

 

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PRÉVISIONS D'AVENIR.

 

La série des désastres continue, nous espérions qu'après l'invasion périodique des sauterelles et l'arrêt de nos mines, il serait permis de tirer l'échelle, nous avions compté sans les coups de vent et l'inondation qui devaient nous achever.

Comme toujours les dégâts causés dans les concessions sont considérables. Les caféiers ont été particulièrement atteints. Il ne faut plus compter sur la récolte du café qui était à la veille de se faire. Le vent a détaché tous les fruits et les eaux les ont emportés. Ceux qui avaient compté rétablir leurs affaires par cette récolte qui promettait d'être très abondante, voient leurs espérances encore une fois complètement déçues.

Les habitants du village en ont été à peu près quitte (sic) pour la peur. Ils s'attendaient à un nouveau "6 mars" et c'est très probablement [*], sans l'intelligente et courageuse initiative de M. le Commandant du pénitencier, ce haut fonctionnaire s'est empressé, à la demande du président de notre commission municipale, de conduire, en personne, une corvée de condamnés qui, en trois heures de travaux habilement dirigés, a mis en communication avec le mer le bras de rivière de la Roche percée ; malgré la pluie qui ne discontinuait pas, nous n'avons eu qu'un simple débordement, n'ayant occasionné que peu de dégâts.

Que de désastres ne nous eût-on pas  épargnés si on en avait fait autant chaque fois, car l'idée n'est pas d'aujourd'hui. Elle a été souvent et depuis longtemps soumise aux différentes autorités, mais elle n'a jamais prévalu ; parce que des hommes soi-disant compétents la traitaient de véritable utopie.

Le Commandant actuel en a jugé autrement, non seulement il a accordé la corvée, mais, nous le répétons, il a pris la peine, malgré le temps affreux qu'il faisait, de diriger lui-même les travaux, il ne s'est retiré que lorsque ces travaux ont été complètement terminés.

M. le Commandant Pennel par son dévouement et son énergie nous a évité des pertes incalculables. Nous sommes heureux de lui en exprimer notre profonde et respectueuse reconnaissance.

Maintenant que nous sommes complètement ruinés, la question est de savoir comment nous allons nous tirer de là.

Il faut reconnaître que les concessionnaires ont fait preuve de beaucoup d'imprévoyance en abandonnant leurs travaux pour ne s'occuper que de transport de minerai. Quelques-uns se sont endettés pour se munir d'un attelage qu'ils seront forcés de revendre au tiers de la valeur qu'ils l'ont payée. Que leur restera-t-il pour vivre ? - Rien.

Forcés de reprendre l'entretien de leur concession, comment feront-ils pour attendre leur prochaine récolte ?

Autrefois, on trouvait, assez facilement, une maison de commerce, disposée à faire des avances, il ne faut plus compter sur cette ressource.

Les commerçants ne sont plus tentés de risquer une épreuve, où tant de leurs devanciers ont sombré.

Les crédits étant complètement fermés, tout ce que nous pouvions souhaiter, c'est de voir un magasin vendre les marchandises de 1ère qualité, dans les meilleures conditions possibles.

Aussi avons-nous applaudi des deux mains à la réouverture du Syndicat de Bourail, qui mieux que personne devrait être à même de réaliser nos vœux.

Si ce syndicat est organisé comme il doit l'être et s'il est intelligemment dirigé comme nous aimons à croire qu'il le sera, il est certain qu'il est appelé à se rendre très utile.

Mais nous ne saurions trop le répéter, il faut pour cela qu'il soit intelligemment et surtout honnêtement administré.

Tout le monde connaît les tripotages scandaleux auxquels nous avons assisté naguère, tripotages qui ont abouti à une condamnation. Nous savons aussi que les membres de l'ancien comité sont judiciairement actionnés par un créancier avisé qui estime, avec beaucoup de raison, qu'il y a toujours dans toute société, et quel que soit le nom sous lequel elle opère des responsabilités que les créanciers ont le droit de rechercher et de faire établir.

En écrivant ces lignes nous avons en vue autre chose que les intérêts de ces créanciers si intéressants que puissent être leurs droits qu'il leur appartient de faire valoir.

Ce que nous voulons et que nous saurons vouloir, c'est que désormais, le Syndicat rende les services que les sociétaires sont en droit d'en attendre. Il ne faut plus qu'il serve de refuge aux ambitieux qui s'imaginent qu'il leur sera facile de se faire une situation à l'abri de quelques individualités, choisis (sic) avec discernement, qui, approuvent, en comité, les manœuvres du Monsieur qui se ….. moque des affaires de la Société, pourvu que les siennes réussissent promptement.

Nous ne voulons plus de ce système qui n'a que trop duré.

Le Syndicat est certainement une excellente institution qui agit avec d'autant plus de sécurité que toutes les tentatives faites jusqu'à ce jour ont été constamment approuvées, que dis-je ? Encouragées et soutenues, même financièrement, par l'Administration pénitentiaire. Comme toutes les affaires, même les meilleures, elles cessent de l'être quand elles se proposent un but opposé à celui que l'on doit atteindre.

Quel est ce but ?

                                                                                                                                                                                              (A suivre)