"101 Mots pour comprendre l'Histoire de la Nouvelle-Calédonie" (Ouvrage collectif ; Ile de Lumière 1997)

Zoreil

 

"Métropolitain", "métro", "zoreille", "zoreil", "zozo", "zor"..., désignent ceux qui sont nés en France métropolitaine, de parents métropolitains. En Nouvelle-Calédonie, on classe les gens par catégories d’origine en les affublant de noms de ce genre. Si "métropolitain" n’a pas de quoi surprendre, "zoreil" mérite quelque explication. Apparu à une époque relativement récente, ce terme est d’origine réunionnaise. On lui attribue deux étymologies : soit un raccourci de l’expression "les yeux et les oreilles du roi" dont on affublait les fonctionnaires de l’Ancien régime, soit l’habitude, selon les Réunionnais, qu’ont les métropolitains de tendre l’oreille, parce qu’ils sont curieux ou parce qu’ils ne comprennent pas ce qui se dit. Pas méchant, le terme "zoreil" revêt donc à l’origine un caractère péjoratif puisqu’il désigne ou bien un espion du pouvoir, ou bien un individu curieux affecté de difficultés de compréhension.

L’insularité, l’éloignement, la cohabitation inter-ethnique ont prolongé au fil du temps et conforté un trait de mentalité régionaliste que le jacobinisme parisien et l’exode rural ont fortement atténué dans l’hexagone. Cela n’est pas étonnant et ne date pas d’hier : dès qu’il y a eu dans le pays une génération de créoles, on note de leur part un besoin de se constituer une identité distincte des natifs de la métropole. Un caldoche supporte mal d’être appelé "zoreil", comme le caricature Bernard Berger dans La Brousse en Folie où, du haut de sa soucoupe volante, un extra-terrestre fait bondir ce broussard de tonton Marcel en l’interpellant "Zoreil !". Ironique, le caldoche voit le "zoreil" comme l’Arias de La Bruyère qui "a tout lu, a tout vu", et François Ollivaud de chanter plaisamment : "Je suis diplômé, je sais travailler, attention les gars (...), on est des champions, c’est nous les zoreils..."

Cette image du "zoreil" semble s’être surtout concrétisée dans le courant des années 30, lorsque le gouverneur Guyon a fait venir en Nouvelle-Calédonie des "hommes compétents" qui manquaient à la colonie pour l’accomplissement des travaux qu’il projetait, puis au moment du Boom des années 60.

Mais le "zoreil" est affecté d’un défaut rédhibitoire : "il n’est pas du pays". Un mouvement récent, né de l’apparition du chômage sur le territoire, revendique le "contrôle de l’immigration" ; le "zoreil" entre autres est visé. Prend-il les emplois des Calédoniens ? Le dire, c’est ignorer sciemment que dans l’entreprise privée les "zoreils" ont fait et font encore pour une bonne part la fortune du pays, qu’ils réussissent, en créant et en faisant vivre une entreprise, ou qu’ils échouent, puisque leurs investissements demeurent sur place. Quant au fonctionnaire "zoreil", sa "prime d’éloignement", versée par la métropole, passe pour une bonne part dans le circuit économique du territoire en frais d’installation entre autres, et s’il "fait du 5,5", ce n’est que le temps limité de son séjour car il n’a pas un salaire indexé sa carrière durant...

 

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N.B. - Finalement, j’ai préféré conserver "zoreil", avec cette orthographe, on peut prendre "zoreille" pour un féminin ou pour une première forme avant le raccourci final "zor".