D'après mon article publié dans le numéro 79 du Bulletin de la S.E.H.N.C.

PETROGLYPHES DE TCHAMBOUENE

 

APPROCHE POUR UNE LECTURE

DES PÉTROGLYPHES NÉO-CALÉDONIENS

 

                                                                                          

 "Peut-on autrement qu'en rêve voir palpiter le passé ?"

 

(Peter H. Buck)

 

Dans leur livre, Les Pétroglyphes Néo-Calédoniens, MM. Buchalski et Pierron, en établissant une classification des motifs gravés dans la pierre qu'ils ont rencontrés au cours de leurs recherches sur le terrain, précisent que le motif cruciforme est de loin le plus fréquent mais aussi le plus varié par la diversité apportée dans la construction de ce graphisme élémentaire (1), Les auteurs de cet ouvrage y rappellent les travaux de Marius Archambault qui, ayant le premier signalé l'abondance des croix gravées sur les pierres de Nouvelle-Calédonie, avait attribué à ce motif une "signification stellaire", alors qu'eux-mêmes pressentent que la "croix néo- calédonienne (...) renferme un message profond peut-être la clé du monde pétroglyphique néo-calédonien".

Très profane dans ce domaine, j'ai trouvé leur publication fort convaincante et, l'ayant lue avec beaucoup d'attention, j'ai été frappé par le fait que si Archambault voyait dans cette profusion de motifs cruciformes l'expression d'une tradition astronomique ou astrologique, - il fait référence aux anciens Egyptiens et Chaldéens,- il était possible de "lire" d'une façon simple, en géographe et en historien actuel, une partie des gravures du site de Tchambouène;

Mon idée de départ consiste à voir dans ces croix entourées la représentation de ce qui est d'un intérêt capital pour l'homme de l'Océanie, je veux parler de la terre où il peut s'établir pour vivre et proliférer, c'est-à-dire les îles où l'on aborde et où l'on peut demeurer si la nature y est suffisamment généreuse mais qu'il faut pouvoir quitter si ce n'est pas le cas puis, éventuellement retrouver à défaut d'avoir pu découvrir mieux.

De nos jours, on situe bien souvent un point sur une carte par la convergence des branches d'une croix tracée au crayon ; tandis que s'il s'agit de délimiter avec les mêmes moyens une zone d'une certaine étendue, on trace une courbe fermée. N'était ce pas un moyen concevable pour un "navigateur" ou un "cartographe" primitif mais point du tout ignorant, apte à se situer, à se repérer, à s'orienter, que d'utiliser une croix entourée pour représenter une île et un groupe de croix semblables pour figurer un archipel ? Une telle manière de faire ne me paraît pas devoir forcément procéder de capacités d'abstraction scientifiquement élaborées au sein d'une civilisation de haute technicité : par une convention imagée, la croix schématise fort bien les arêtes des montagnes en même temps qu'elle marque la situation d'un lieu déterminé tandis que, dans un semblable mode de pensée, l'entourage marque la ligne de contact entre la terre et l'océan à moins que, et d'autres données me portent à le croire, cet entourage ne soit la marque symbolique de l'immobilité (10).

 

Le site de Tchambouène.

D'après G, Buchalski et R, Pierron : Les Pétroglyphes Néo-Calédoniens (S.E.H.N.C. - Publication N° 41 - Juillet 1988)

Groupe de motifs principal faisant face à la montagne.

 

J'ai emprunté à MM. Buchalski et Pierron l'illustration ci-dessus qu'ils donnent en page 35 de leur livre d'une photographie partielle des pétroglyphes en question, accompagnée d'un dessin représentant de manière plus claire les motifs relevés sur la roche de Tchambouène. Ma "lecture" ne concerne véritablement que la partie située en bas à droite du dessin. Que voit-on sur cette partie de la gravure ? Une grande croix (B), cinq croix plus petites (A,C,D,E,F), cinq croix encore plus petites (G,H,I,J,K), un motif anthropomorphe (M), des cupules (N), une cupule entourée (P) parmi quelques autres signes moins aisés à définir.

Il serait certes facile de me rétorquer que l'on peut aussi bien voir dans cet ensemble de croix où je pense découvrir un archipel, la représentation d'une constellation, d'un cimetière, d'un rassemblement d'amibes ou d'un groupe de buses en plein vol (2) ; mais que l'on soit bien persuadé que je n'aurais pas entrepris de donner la moindre publicité à cette idée qui m'est venue sans effort si je n'avais été frappé par la convergence de quelques détails remarquables.

1/ - La position des croix les unes par rapport aux autres constitue une figuration de l'archipel néo-calédonien particulièrement ressemblante et tout à fait surprenante par son exactitude et sa précision s'il s'agit d'une gravure vieille de plusieurs siècles : B représente la Grande Terre ; A, Balabio ; F, l'île des Pins ; C,D,E, les Loyauté ; G,H,I,J,K, des îles plus petites que l'on peut identifier comme étant Vauvilliers, Oua, Dudune, Leliogat, Tiga.

2/ - La croix B, représentant la Grande Terre, comporte sur sa moitié droite (la côte est) un trait qui double une partie de l'enveloppement de la croix mais s'interrompt brusquement en haut (le nord) et se divise en fourche en bas (le sud) ; selon moi, ce trait figure le récif corallien dont le graveur savait qu'il comportait un embranchement bifide au sud, au voisinage de l'île des Pins qu'il prend en écharpe ; mais il pouvait ignorer l'existence d'un semblable récif à l'ouest si seule la côte orientale avait été explorée (3). Quant au trait qui prolonge en haut (au nord) l'entourage de la croix, j'ai d'abord pensé y reconnaître l'amorce du récit occidental mais comme il tient à l'entourage dans l'alignement d'une branche de la croix, cet appendice me semble plutôt figurer l'étroite péninsule d'Arama.

3/ -.La croix C est affectée d'un supplément de gravure en forme d'accent circonflexe (5), en haut à gauche (au nord-ouest); ne s'agit-il pas là de la représentation du récif tout à fait caractéristique du lagon d'Ouvéa ? J'en suis persuadé et ce détail m'est apparu tellement significatif qu'il n'a pas peu contribué à me convaincre de la haute probabilité du bien fondé de mon interprétation. Ainsi, deux des croix de l'ensemble que je crois être une image de l'archipel néo-calédonien présentent des particularités qui permettent une identification en conformité avec des particularités du site naturel : le récif d'Ouvéa et la péninsule étroite du nord de la Grande Terre. À le supposer correct, mon raisonnement doit être poussé plus loin et il devient loisible de voir dans la variété des motifs cruciformes un procédé pour identifier les îles schématisées au moyen d'un signe ajouté, évocateur d'un élément naturel de reconnaissance caractéristique : des croix accompagnées d'une cupule entourée, comme celles indiquées par un L sur le dessin, pourraient fort bien figurer des îles au voisinage immédiat desquelles se trouve un îlot ou un récif important (4) ; une croix centrée sur des cercles concentriques représenterait peut être une île volcanique (5) ; une série d'entourages signifierait une côte d'accès difficile, une côte à falaises par exemple (6).

Mais aussi, que représentent donc tous les autres motifs dont la roche est couverte ? Peut on céder à la tentation de voir dans le groupe de croix situé immédiatement à gauche du glyphe B l'archipel des Chesterfield ? Plus à gauche encore, cet ensemble de signes assez confus, est-ce l'Australie ? Et l'autre groupe de croix, n'est-ce pas, bien à sa place, l'ensemble des archipels de la Mélanésie, voire même de l'Indonésie ? Cette spirale tout à fait remarquable, ne saurait-elle figurer des courants marins ou les vents d'un cyclone (7) ?

Je me garderai bien d'oser suggérer maintenant une telle lecture d'ensemble des pétroglyphes de Tchambouène, tout comme je me suis gardé de pousser trop loin mon aventureuse identification des types d'îles à partir de croix au dessin particulier ; afin de donner un sens à une telle démarche, un long travail de recherche serait nécessaire pour un résultat envisagé forcément aléatoire. Toutefois, simplement à partir des observations déjà faites et de l'hypothèse formulée, au stade de raisonnement où je suis parvenu il me semble possible de dégager deux conclusions partielles d'importance.

1/ - La technique consistant à représenter une île en la schématisant par une croix entourée affectée le cas échéant d'un signe caractéristique significatif qui en permette l'identification dénote de la part des auteurs des pétroglyphes un effort manifeste pour aller du dessin purement symbolique vers le dessin porteur d'un message pratique, c'est là l'étape première d'un cheminement qui conduit à l'élaboration d'une véritable écriture.

2/ - De quelques détails que j'ai relevés, - ignorance du récif occidental et des Belep mais bonne connaissance du récif oriental et des îles et îlots constituant l'archipel des Loyauté, - je pense pouvoir déduire logiquement que le graveur des pétroglyphes de la roche de Tchambouène connaissait bien les rivages baignés par la "mer des Loyauté" pour avoir pu personnellement en parcourir les flots à bord d'une pirogue ; il lui était dans ces conditions possible de matérialiser à la surface du rocher l'image en plan de la région où il se trouvait avec beaucoup de justesse. Mais situer par rapport à cet ensemble bien connu d'autres terres beaucoup plus lointaines était une tout autre affaire ; il pouvait très bien n'avoir pas lui même visité les autres îles qu'il représentait, n'en connaître l'existence que par ouï-dire, par la tradition orale d'ancêtres venus de loin, d'autres îles dont il voulait peut être exprimer qu'elles se trouvaient dans la direction du couchant mais à une latitude qu'il ne situait pas avec exactitude selon les normes qui sont les nôtres et qui se seraient assez bien accordées avec les siennes au niveau de la représentation de l'archipel néo-calédonien (8).

Abordons à présent un autre aspect des pétroglyphes de Tchambouène à partir du motif anthropomorphe M qui, très grand, enjambe la mer de C en B, -et non l'inverse compte tenu de la flexure de la colonne vertébrale au niveau des lombaires, - partant d'Ouvéa, il prend pied sur la Grande Terre au-dessus de laquelle il étend sa main enserrant un objet en forme de "T" ou de "Y" renversé sur l'image. Est-ce une arme ? Un emblème ? S'il ne m'est pas possible d'identifier cet objet, je ne peux me retenir toutefois de lui trouver quelque ressemblance avec la mystérieuse "hache de Poya", en schiste poli (9). Que ce soit une arme ou un emblème, il n'est pas en fin de compte primordial de le déterminer pour la poursuite de mon propos, ce qui est important c'est que cette gravure rupestre présente manifestement les caractères de tout monument élevé à la gloire d'un chef en souvenir d'une conquête réussie ; œuvre commémorative elle peut également avoir été conçue dans un but édifiant, afin d'illustrer pour de jeunes générations de guerriers la mémoire contée d'un peuple voyageur et conquérant dont les exploits passés doivent être à la fois préservés de l'oubli et donnés en exemple. En des temps ignorés, il a bien pu souffler aux alentours de Tchambouène un peu du même esprit qui, à l'autre bout du monde, inspira voilà neuf siècles des sculptures par milliers et fit des églises romanes ces "livres de pierre" grâce auxquels le christianisme romain inculqua les enseignements des Saintes Écritures aux populations illettrées de l'Occident médiéval.

C'est également une lecture historienne que je propose en ce qui concerne les cupules (N) que l'on compte au nombre de cinq au "départ" d'Ouvéa, le "pied" du personnage M prenant appui sur l'une d'entre elles, la plus éloignée du motif représentant la Grande Terre et, plus loin, vers le bas du dessin, on distingue trois autres cupules, deux au voisinage de la croix dans laquelle je vois la représentation de l'île des Pins, une entre l’île des Pins et Maré. Si l'on se réfère à la même lecture "traditionnelle" qui identifie les croix entourées à des "buses en plein vol", les cupules seraient les "femmes du chef" ! Je pense qu'elles figurent plutôt, soit les pirogues de l'expédition du débarquement, soit les groupes de guerriers qui y ont participé, les chefs secondaires, les clans qui composaient le corps expéditionnaire... Impossible de fermer la liste des propositions envisageables ni de faire un choix solidement justifié, ce que je garde en considération c'est qu'une cupule représente une unité. Quant à savoir de quelle unité il s'agit,- embarcation, chef de second rang, clan, groupe de dix, de douze, de vingt ou de cent hommes et même une "femme de chef",- je ne saurais le déterminer ; simplement, mon intuition et la logique de mon raisonnement me font préférer la notion d'unité de débarquement à toute autre (10).

Selon mon hypothèse, la gravure que je viens d'étudier est donc l'expression d'un événement historique bien particulier en même temps qu'une belle "mise en image" d'un moment de l'occupation du pays par le peuple auquel sont dus les pétroglyphes de Tchambouène, ce moment où il s'est trouvé établi dans les Loyauté, à l'île des Pins et sur la côte orientale de la Grande Terre sur laquelle il venait d'aborder en partant d'Ouvéa et alors qu'il n'occupait pas (ou pas encore) la côte ouest dont il ignorait qu'elle était aussi bordée d'un récif (11). Compte tenu de ces données, mon interprétation de ce que représentent les pétroglyphes de Tchambouène vient à l'appui de la thèse d'un débarquement au centre-est ou au nord-est de la Grande Terre, suivi d'une pénétration poussée ensuite vers l'ouest et le nord-ouest, thèse reposant principalement sur l'observation de la répartition quantitative des pétroglyphes connus à ce jour et dont la densité des sites est bien plus forte au centre-est pour se faire moins dense quand on rayonne ensuite dans toutes les directions. Pourquoi tant de pétroglyphes au centre-est ? Parce que c'est là que ces immigrants venus du levant et qui gravaient des signes dans la pierre se sont sédentarisés en débarquant. Pourquoi un si faible pourcentage au sud-est ? À cause d'une moindre occupation du terrain, c'est évident ; et à cela les raisons que l'on peut trouver ne manquent pas : exploration de la Grande Terre en suivant par tradition la marche du soleil, stérilité décourageante des sols, résistance de peuplades antérieurement établies sur les lieux...

Avec cela, il reste encore bien des questions à poser auxquelles il n'est pas possible d'apporter des réponses satisfaisantes :

- Y a-t-il eu un ou plusieurs peuples pour graver les roches de Nouvelle-Calédonie ? Le style linéaire des pétroglyphes d'Ouvéa est si élémentaire par rapport à ce que l'on trouve sur la Grande Terre qu'on n'imagine pas qu'ils soient l’œuvre des mêmes hommes ou alors il faut admettre, ce qui me séduit assez, qu'une véritable "école" de graveurs de pierre s'est développée en Nouvelle-Calédonie à partir d'une tradition importée encore dans son enfance.

- Combien de temps ces hommes ont-ils régné sur l'archipel ? Il a nécessairement fallu bien des années et sans doute plusieurs générations pour qu'un peuple que l'on n'imagine pas très nombreux, ait pu inscrire tant de marques indélébiles de sa présence avec un outillage sans aucun doute rudimentaire.

- Quand et pourquoi ont-ils cessé de graver la pierre alors qu'ils semblaient sur la voie qui mène à la mise au point d'une écriture élaborée ? Sans doute quand les communications se sont trouvées coupées avec les bases de départ et parce qu'alors, à défaut de relations d'échanges, l'évolution de l'écriture naissante s'est trouvée stoppée par manque de motivation puis a régressé jusqu'à disparaître dans l'oubli pour cause d'inutilité ; à moins qu'ils n'aient un jour dans un nouvel exode quitté la terre qui les avait accueillis ; mais rien ne semble susceptible d'étayer l'hypothèse d'un abandon de ces îles hospitalières après une occupation de plusieurs générations, il faudrait supposer que quelque cataclysme les a forcés à fuir.

- Alors, cette race a-t-elle constitué le fonds de la population autochtone ? S'est-elle métissée ? Un mélange de races pourrait aussi constituer une explication à la disparition de cette coutume qui consistait à couvrir certaines roches de signes profondément gravés ; à envisager cette possibilité, soit le métissage s'est effectué avec un peuple antérieurement établi et à cette occasion l'abandon de certaines traditions a pu accélérer la pitoyable décadence de la culture pétroglyphique engagée par la rupture avec les racines lointaines que j'ai suggérée ci-dessus, soit le métissage a été provoqué par une nouvelle conquête particulièrement destructrice qui a pu mettre brutalement fin à l'existence de tous ceux qui possédaient la pratique des pétroglyphes.

- Et puis, si l'on ne sait pas ce qu'est devenu ce peuple et comment sa culture s'est éteinte, l'on ne connaît pas non plus ses origines. Le "personnage" M,- qui représente sans doute aussi bien un grand chef que son peuple, tant il est vrai que les groupes humains s'identifient volontiers à la nature, parfois divinisée, de celui qui les guide,- d'où venait-il avant de poser le pied sur Ouvéa ? Quand l'expédition sur la Grande Terre à partir d'Ouvéa a-t-elle eu lieu ?

Ma "lecture" des pétroglyphes de Tchambouène est trop partielle, trop aléatoire surtout pour fournir les réponses à toutes ces questions, il est d'ailleurs vraisemblable que la plupart d'entre elles ne se trouvent pas là ; mais pour ce qui est des mystères que j'ai évoqués en dernier, relatifs aux origines du peuplement de la Nouvelle-Calédonie, une légende de la tradition mélanésienne mérite d'être rapportée ici ; recueillie voilà bien des années chez les Ouébias, elle mentionne peut-être sans la désigner cette race qui laissait dans la pierre dure des marques profondes de son passage.

En 1898, voici en quels termes le chef Koudjima récitait, non loin de Tchambouène, l'histoire des origines de son peuple à un visiteur européen qui ne demandait qu'à l'écouter :

 

"Nous étions loin, bien loin d'ici là-bas où le soleil se couche, beaucoup de Canaques en train de construire des pirogue, lorsque le fils du chef qui jouait parmi nous fut victime d'un déplorable accident : une des haches en pierre que tenait un travailleur frappa malheureusement l'enfant, qui fut tué.

Ce fut une grande consternation. Que faire ? le courroux du chef serait terrible Les indigènes se consultèrent. Personne aux alentours. On se décida en secret à enfouir le petit cadavre dans le sable.

Et chacun se dépêcha de pousser les pirogues à l'eau...

La mère, au bout d'un instant, arriva : - Où est mon f ils ? dit-elle.

On lui répondit : - Il était là tout à l'heure.

Elle s'éloigna inquiète.

Et chacun se dépêcha de pousser les pirogues à l'eau...

Alors, le chef très inquiet parla. C'était un guerrier redoutable et cruel déjà d'un certain âge. Il dit : - Où est mon fils ? Il était là tout à l'heure.

Et chacun se dépêchait de pousser les pirogues à l'eau.

Alors, il fut pris d'une grande colère. Un de nous eut pitié et lui apprit l'affreuse vérité. Il fouilla le sol, examina le crâne de l'enfant et dit d'une voix sourde : - Revenez vers moi afin qu'on lui rende les honneurs.

Mais chacun se dépêchait de pousser les pirogues à l'eau.

Alors, le chef fut pris d'une violente colère; il menaça, supplia, montra le pauvre petit cadavre, et les popinées gémissaient.

Mais chacun se dépêchait de pousser les pirogues à l'eau...

Et il ne resta bientôt plus personne sur le rivage de Hahaké, notre patrie

Alors, le chef fut pris d'une violente colère. Mais chacun s'étant dépêché de pousser les pirogues à l'eau, elles flottaient librement

Alors, le chef notre père à tous, craignit cependant pour nous.

- Puisque c'est ainsi fit-il et que vous voulez partir, allez ! Vous ne trouverez des terres que loin, très loin d'ici du côté où le soleil se lève, où vont les courants et la brise. Et retenez mes paroles, car vous rencontrerez beaucoup d'écueils, des flots dangereux et stériles; ne vous arrêtez pas là...

Mais, lorsqu'après avoir longtemps voyagé vous serez à bout de vos vivres, vous découvrirez une première île, ne vous arrêtez pas là...

Vous en verrez une autre plus grande, avec des cocotiers, ne vous arrêtez pas là...

Puis une troisième, hérissée de récifs, en face, ayant de hautes montagnes ; débarquez-y votre malade et visitez la côte, car elle sera habitée. Quand les poissons sauteront sur l'eau, autour des pirogues, arrêtez-vous là...

C'est ainsi que nous arrivâmes dans des parages peuplés de guerriers, lesquels avaient remplacé déjà des naturels ne sachant pas construire des cases et vivant dans des trous.

Il y eut de grandes guerres, au commencement, dans l'endroit où l'on avait débarqué le malade, et victorieux nous nous sommes par la suite des temps fondus avec les autres et répandus de toutes parts sur la grande terre d'Ohao".

 

La relation de cette histoire sur les origines des Ouébias, nous la devons à Jules Durand qui joua un rôle dans la vie politique de la colonie, de 1895 à 1898, et fut amené à quitter la Nouvelle-Calédonie en janvier 1899 à la suite de ses démêlés avec le gouverneur Feillet. D'esprit cultivé et imbu de cette curiosité ethnologique propre aux aventuriers de la découverte exotique des XVIIIème et XIXème siècles, Jules Durand fit quelques incursions dans la brousse calédonienne et il a publié le récit de son dernier périple, dans le nord de la chaîne centrale, sous le titre Chez les Ouébias (12).

 

Carte d'une partie de la Nouvelle-Calédonie occupée par les Ouébias.

Comportant (en rouge) l'itinéraire parcouru par Jules Durand en 1898.

(Le Tour du Monde, n° 42 du 20 octobre 1900).

 

Pour ce qui est de l'éventualité d'un rapport avec les pétroglyphes, cette histoire transmise par la tradition orale d'une tribu mélanésienne établie dans une "contrée que les monts intérieurs de la Chaîne centrale cachent et enserrent" a attiré mon attention pour diverses raisons.

- En premier lieu, j'y reconnais la reprise littérale du récit d'une expédition que revendique avec juste raison la tradition wallisienne. On sait que les migrants polynésiens ont plus ou moins colonisé les Loyauté vers le début du XVIIIème siècle et touché la Grande Terre ; ceux qui sont venus de Wallis ont donné le nom de leur patrie d'origine à la plus septentrionale des îles de l'archipel (13) et y ont laissé d'importantes traces ethniques et linguistiques de leur implantation (14).

- En second lieu, cette légende mentionne trois races qui ont successivement peuplé la Nouvelle-Calédonie :

1/ - Des "naturels ne sachant pas construire des cases et vivant dans des trous", c'est la race la plus ancienne dont la tradition a gardé le souvenir, des hommes décrits comme étant noirs, de petite taille, connus des Ouébias sous le nom de Siningone, très certainement la même race que les Maréens appelaient Eletok (15) ;

2/ - Le peuple de "guerriers" qui a remplacé ces naturels;

3/- Les émigrants de Hahaké, c'est à dire Wallis indique en note Jules Durand dans son article ; Hahaké étant le nom d'un district de Wallis.

- En troisième lieu, il y a la manière dont cette légende est racontée par le chef Koudjima. D'abord, il est clair qu'il a conscience que sa tribu et lui descendent de deux peuples qui ont fusionné, mais il rattache les Ouébias,- qui sont des Mélanésiens parmi les moins touchés par toute forme d'acculturation,- à la branche polynésienne, de toute évidence la plus prestigieuse dans son esprit, moins parce qu'elle représente celle des derniers vainqueurs, que parce qu'elle a une histoire dont il est le dépositaire. Ensuite, en racontant cette migration de Hahaké vers Ohao, il commet une remarquable erreur d'orientation qui ne lui est certainement pas imputable : il situe en effet Hahaké, "là-bas où le soleil se couche" et dans son récit, le vieux chef de la légende dirige les émigrants qui quittent Hahaké "du côté où le soleil se lève" ; or, par rapport à la Nouvelle-Calédonie, Wallis est dans la direction du levant et si l'on quitte Hahaké pour gagner Ohao, la Grande Terre, "hérissée de récifs", il faut orienter sa pirogue vers le couchant. Comment expliquer cette erreur flagrante du récit légendaire ? Une faute de transcription due au rapporteur européen est à exclure d'emblée au même titre qu'une confusion due au chef des Ouébias. J'ai deux réponses à proposer :

1 - Ou bien la légende reprend sans y rien changer un récit polynésien évoquant une expédition qui, partant de Hahaké en direction du soleil levant est arrivée à une "Ohao" qui n'a rien à voir avec la Grande Terre de l'archipel néo-calédoniens, - il ne manque pas d'îles du domaine polynésien dont les noms ressemblent de très près au vocable "Ohao" ou "Opao" (16) ;

2 - Ou bien la légende mêle le souvenir de deux migrations dont l'une, mélanésienne, serait arrivée en Nouvelle-Calédonie en prenant la direction du soleil levant et aurait donc eu pour point de départ l'Australie ou la Nouvelle-Guinée (17).

 

En fin de compte, de ces trois races que mentionne la légende, y en a-t-il une qui ait enfanté les auteurs des pétroglyphes ?

- Seraient ce les Siningone, ces naturels mystérieux, petits et noirs, établis en Nouvelle-Calédonie avant l'arrivée des Mélanésiens et des Polynésiens, ces autochtones selon la tradition qui, "ne sachant pas construire des cases" s'abritaient dans des grottes (18) ? Si c’étaient eux, leur mode de vie troglodyte constituerait un élément d'explication de la maîtrise de l'art de la gravure rupestre que les pétroglyphes rendent manifeste à mes yeux ; et si leur race se rattachait effectivement au rameau ethnique des Négritos des îles Andaman, dans le golfe du Bengale, avec lesquels on a trouvé des apparentements chez certains types du Vanuatu aussi bien que de Nouvelle-Calédonie,- notamment de Maré,- les Siningone pourraient avoir laissé le souvenir d'une migration ayant abordé la Nouvelle-Calédonie par l'est, en venant du nord-ouest, par l'archipel indonésien, via la Nouvelle-Guinée, les Salomon et le Vanuatu. Dans ce cas les pétroglyphes seraient très anciens ; il faut bien se dire qu'il n'est pas impossible que l'histoire de l'archipel néo-calédonien antérieure aux explorations des Européens dans ses eaux ait été illustrée,- à des dates qui peuvent se trouver très éloignées les unes des autres,- d'entreprises tout à fait similaires de débarquement sur la Grande Terre à partir de la base avancée d'Ouvéa. Pourquoi un peuple archaïque venu par le nord-ouest n'aurait-il pas réalisé une telle entreprise et inscrit le souvenir de cet événement dans la pierre ? Pourquoi, plusieurs siècles ou même un, deux ou trois millénaires plus tard, des Polynésiens venus de l'est n'auraient ils par renouvelé semblable opération ? Si c'était le cas, les habitants de la Grande Terre auraient entretemps perdu la connaissance de la lecture des pétroglyphes, soit par oubli, soit plus sûrement parce que cette "écriture " leur était étrangère, car sinon, la gravure de Tchambouène aurait été considérée comme prophétique et la tradition en aurait gardé comme tel le souvenir.

- Seraient ce les Mélanésiens, dont quelques-uns ont donné des interprétations des pétroglyphes et qui liaient certaines de leurs pratiques à la magie de la pierre façonnée ou gravée, comme par exemple de toucher avec leur pierre de fronde le centre de cette véritable cible que constitue une cupule entourée, afin qu'elle atteigne plus efficacement le gibier ou l'ennemi visé ? On pourrait effectivement voir là un geste faisant appel à quelque croyance magique si la gravure avait été faite dans ce but par un sorcier, ou si elle était l’œuvre d'ancêtres prestigieux ; mais il serait également loisible d'interpréter ce geste comme un acte d'envoûtement dirigé contre la race qui a gravé ce signe dans la pierre et que l'on a combattu.

- Seraient ce les Polynésiens ? En le supposant, on aurait matière à voir autour de mon interprétation des pétroglyphes de Tchambouène un accord tout simple entre les migrations des Polynésiens et les gravures rupestres existant sur les multiples sites baignés par les eaux de l'océan Pacifique : ces hardis explorateurs en pirogues auraient eu entre autres cordes à leur arc une technique pour graver les pierres les plus dures. Mais alors, à moins que la mémoire collective reposant sur la tradition orale ne recèle de biens plus grandes possibilités de conserver le souvenir des événements du passé que nous ne le supposons avec nos schémas de pensée reposant sur une tradition du livre, les pétroglyphes, au moins ceux de Tchambouène, seraient bien moins archaïques qu'on ne le pense d'ordinaire puisque la tradition, aussi bien mélanésienne que wallisienne, a gardé le souvenir d'un débarquement dans le nord de la côte orientale de la Grande Terre de Polynésiens venus d'Ouvéa.

En fin de compte, j'ai le sentiment que mon interprétation de quelques gravures rupestres de Tchambouène m'a conduit un peu loin puisque j'en suis arrivé à proposer une identification des auteurs des pétroglyphes. En fait, je n'ai pas fourni de réponse et si je mets ici un point final, à la suite d'une hypothèse d'interprétation j'ai en fin de compte surtout posé des questions. Personnellement, je n'apprécie pas beaucoup ces raisonnements qui, à partir d'un problème débouchent sur d'autres problèmes sans avoir résolu le premier ; mais sur toute autre question relative aux pétroglyphes, vouloir apporter des réponses nettes scientifiquement prouvées, me paraît une gageure irréaliste compte tenu de la modestie de nos connaissances sur ce sujet et du manque universel de certitudes pour ce qui concerne toute humanité qui n'a pas laissé de témoignages écrits compréhensibles.

Au bout du raisonnement que j'ai tenu, faire un choix de réponse m'a semblé nécessaire, même s'il devait ultérieurement s'avérer que j'ai eu tort, car entre l'hypothèse de pétroglyphes gravés voilà trois ou quatre millénaires par les Siningone et celle de pétroglyphes gravés voici moins de trois siècles par des Polynésiens, il y a un monde d'incompatibilité.

Faudrait-il supposer l'existence d'une autre race, totalement inconnue, qui n'aurait laissé aucune trace dans le souvenir des hommes, même sous forme de quelque mythe, alors qu'elle aurait multiplié les gravures dans la pierre sur une aire géographique de plusieurs millions de kilomètres carrés ? Sans être à exclure, cette hypothèse que je n'ai pas envisagée plus haut demeure totalement spéculative quand des légendes polynésiennes pourraient offrir une somme d'éléments de réponses cohérente, quoique lacunaire, aux questions que je me suis posées à propos des pétroglyphes de Tchambouène et de leurs auteurs. En voici quelques exemples :

- Relativement à la croix entourée, j'ai proposé au début de cet article une interprétation "occidentale" du signe, mais les légendes polynésiennes attribuent la création des îles au dieu MAUI qui pêcha de gros poissons lesquels, une fois parvenus à la surface, se fixèrent et devinrent des îles ; la croix entourée ne représenterait-elle pas schématiquement une raie montée à la surface et fixée en île ?

- Partis à l'aventure sur leurs pirogues, les explorateurs polynésiens suivaient une étoile car ils pensaient que sous chaque bonne étoile se trouvait une île ; on rejoint par cette croyance l'interprétation d'Archambault : la croix entourée pouvant représenter tout à la fois le poisson devenu une île par fixation divine et son image stellaire dans le ciel.

- Dans le récit mythique du voyage de RU, le découvreur polynésien part de Avaiki. la mère des terres, dans la direction du sud-ouest en suivant la marche d'une étoile; avant de toucher Aitutaki, une île de l'archipel des Cook, il rencontre bien des obstacles durant son voyage, entre autres un tourbillon d'eau puis une trombe, deux phénomènes en forme de spirale comme on en voit une sur la roche de Tchambouène, phénomènes plus facilement identifiables à cette forme par les hommes d'autrefois qu'un cyclone tropical mais, ainsi que je l'ai fait (7), d'autant plus à mettre en rapport avec ce type de perturbation atmosphérique que la légende dit que RU fut continuellement gêné dans sa quête par des nuages qui lui masquaient son étoile.

- L'objet que le "personnage" M des pétroglyphes de Tchambouène tient à la main et qui fait penser, ai-je écrit, à la "hache de Poya", pourrait bien être une emblématique herminette, outil universel et arme tout à la fois pour les Polynésiens des temps lointains, à qui elle servait aussi bien pour la construction des pirogues que pour le travail de la terre ou le meurtre d'un ennemi. Au même titre que nos récits du Moyen-Age occidental mentionnent des épées célèbres,- Escalibur, Durandal,- on trouve dans les légendes polynésiennes des herminettes illustres :

* "Te-pa-huru-nuima-te-vai-tau" était une herminette de pierre donnée par le roi MARERE-NUI au héros TAFA'I pour lui permettre de couper les tendons du gros poisson qu'était à l'origine Tahiti dans la mythologie océanienne, afin qu'il se stabilisât définitivement et devint une île ; l'outil était d'une redoutable efficacité car un seul coup brisa la chaîne de montagne qui alors s'étendait sur toute la longueur de Tahiti et creusa l'isthme de Taravao ;

* "Haumapu" est le nom de l'herminette avec laquelle un autre héros mythique, TE ERUI, massacra bon nombre de descendants de RU lors du débarquement qu'il opéra en force à Aitutaki ; au moyen de cet instrument exceptionnel, il creusa également une passe, "Te Rua-i-kakau", dans le récif annulaire qui encercle l'île afin de permettre à son navire, " Te Rangi-pae-uta", de pénétrer dans le lagon.

- Dans un semblable ordre d'idée, les Polynésiens donnaient également un nom propre à la pagaie-gouvernail de leurs grandes pirogues, c'est dire l'importance que revêtait à leurs yeux cet instrument de direction de leurs embarcations hauturières. Sur la roche de Tchambouène, une au moins des cupules N comporte une incision rapportée qui ne semble pas accidentelle et pourrait bien constituer un élément venant à l'appui de mon interprétation de ce type de signe que j'ai en premier lieu identifié à la pirogue : cette incision représenterait la pagaie gouvernail d'une pirogue plus importante que les autres, le navire amiral en quelque sorte.

- La tradition polynésienne, tout comme celle des Ouébias ou des Maréens, a gardé le souvenir d'une race d'Océaniens de petite taille établis dans certaines îles bien avant leur arrivée, les Menehune. D'après les légendes de Kauaï, la dernière grande île au nord-ouest de l'archipel hawaïen, les Menehune avaient une réputation d'habiles artisans de la pierre, capables d'édifier un temple en une seule nuit grâce à des procédés magiques qui leur permettaient de se passer de la main à la main de gros blocs de rocher. Un récit relate que le chef du dernier peuplement polynésien d’Hawaii employa un groupe de Menehune qu'il paya, une fois le travail achevé, d'une seule crevette d'eau douce. Peter H. Buck voyait dans cette misérable rétribution une manière d'appuyer "sur le pouvoir magique des Menehune qui pouvaient nourrir la multitude avec un seul petit crustacé" ainsi que la commémoration de "la parcimonie des employeurs du temps" ; plutôt qu'à mettre en relation avec de prétendus pouvoirs magiques qui pourraient s'assimiler à la chrétienne multiplication des pains et des poissons de l'Évangile, ne faut-il pas comprendre que cette "parcimonie" avait pour but l'extermination des Menehune, occupants antérieurs de la terre convoitée, en les affamant après avoir utilisé leurs talents ?

Pour Buck, TE RANGI HIROA, Maori par sa mère, les Menehune, considérés par la tradition comme "des gnomes et des êtres de légende" ou comme "une race de nains", n'étaient pas forcément de petite taille : "Cela semble être une caractéristique polynésienne de louer ses propres ancêtres familiaux et de déprécier ceux qui les précédèrent dans l'exploration et la colonisation" écrivait-il ; selon lui les Menehune étaient de souche polynésienne, "les premiers à traverser les déserts océaniques pour arriver jusqu'à Hawaii " (19). Comme à Tahiti les Menehune étaient les plébéiens descendants des premiers habitants de l’île, établis à une époque lointaine où il n'y avait à Tahiti ni chef royaux ni dieux, et qu'à Hawaii la tradition fait descendre les Menehune de LUA-NU'U (Ruanuku) ; imaginer une origine commune à ce peuple mystérieux et aux Polynésiens est loin de constituer une invraisemblance, il a fort bien pu en être de même dans le triangle polynésien que dans le triangle européen où, au deuxième millénaire avant J.C. les Indo-Européens ont occupé le sol par migrations successives, l'exemple le mieux connu étant celui de la Grèce envahie à huit siècles de distance par les deux grandes vagues du peuplement hellénique, celle des Achéens puis celle des Doriens.

Mais les Menehune, les Siningone, les Eletok n'avaient peut-être pas les mêmes origines ethniques que les Polynésiens, bien qu'elles fussent probablement asiatiques. Peut-être ont-ils enseigné la technique aux Polynésiens, voire à des Mélanésiens ; peut-être pas. Rien ne semble pouvoir être prouvé dans ce domaine car, si je pense avoir donné une interprétation juste d'un fragment des pétroglyphes de Tchambouène, l'auteur reste inconnu et s'il m'est apparu à travers plusieurs détails que le motif traité comme il l'est doit être rapporté aux actes passés des Polynésiens, je n'aurais garde de me montrer catégorique sur ce propos. Il convient de rappeler que des pétroglyphes assez semblables à ceux que l'on trouve dispersés non seulement en Nouvelle-Calédonie mais dans toute la zone du Pacifique, se rencontrent également un peu partout dans le monde et il semble peu probable qu'aucune lecture qui puisse en être faite permette jamais d'en éclaircir véritablement et indiscutablement tous les mystères.

Si je penche pour attribuer les pétroglyphes de Tchambouène à des Polynésiens, c'est parce que bien des indices concordants entre les traditions polynésiennes et ma théorie semblent l'attester ; mais je ne pense pas qu'ils représentent un débarquement wallisien vieux seulement de deux à trois siècles, - l'érosion de la pierre serait dans ce cas moins avancée,- j'incline plutôt pour un autre débarquement qui aurait pu se produire lors d'une grande époque d'expansion polynésienne, entre les Xème et XIIIème siècles vraisemblablement. Peut-être originaires des Tonga, peut-être d’Hawaii, à cause du nom "Ohao" qui est resté à la Grande Terre et peut faire référence à des origines hawaïennes ou plus probablement tongiennes (16 à 20) ; mais c'est là un maigre indice, bien évidemment insuffisant pour être considéré comme une preuve permettant de conclure. Ces colons polynésiens auraient ensuite abandonné l'archipel néo-calédonien. Pourquoi ce nouveau départ ? Les Polynésiens auraient tout aussi bien pu se trouver contraints de se retirer devant un afflux puissant de Mélanésiens par exemple que de retourner sur leurs îles d'origine pour toute autre raison inconnue. Ils auraient pu également choisir d'émigrer vers des terres nouvellement découvertes, plus riches de promesses et moins difficiles à occuper puisque vides d'habitants ; je pense bien entendu à la Nouvelle-Zélande, visitée par les Polynésiens à partir du Xème siècle et véritablement colonisée par plusieurs migrations successives qui se sont échelonnées du XIIème au XIVème siècle. Mais je n'irai pas plus loin dans la voie des suppositions car il me semble vain de prétendre établir la cause réelle de l'abandon d'un riche archipel alors qu'un tel abandon reste tout à fait spéculatif tant qu'on n'a pas d'indice probant qui l'atteste et alors que l'on n'a pas connaissance qu'une quelconque tradition en ait de manière compréhensible conservé le souvenir.