D'après mon article publié dans le numéro 76 du Bulletin de la S.E.H.N.C.

 

 

L'AMÉNAGEMENT DU PORT DE NOUMÉA (1853-1903)

 

Première partie : LE QUAI

 

 

En se reportant à l’époque où M. de Montravel s’établissait à Nouméa, on explique jusqu’à un certain point le choix qu'il avait fait ; cet officier ne cherchait qu'un point facile à défendre et un port sûr, deux conditions admirablement remplies par le site de Nouméa. Que l'on imagine, en effet, une longue presqu’île montueuse ; son extrémité profondément échancrée, contourne une baie dont l'ouverture est en grande partie fermée par une île allongée, l’île Nou ou du Bouzet. Dans ce port les navires sont complètement à l'abri ; les blockhauss placés à l’extrémité de la presqu’île ne sauraient être entourés par des ennemis venant de l'intérieur, ni même surpris, car quelques sentinelles sur les hauteurs dominent la contrée. Au début, c'était donc le meilleur point stratégique que l'on pût choisir dans cette partie de l’île (...).

Peut-être cette heureuse et forte situation stratégique épargnera-t-elle dans le principe beaucoup de sang ; l'audace des naturels était grande alors, si grande que maintes fois ils osèrent pousser leurs attaques jusqu'au milieu de la ville naissante. Mais cet état des choses dura peu (...) et dès lors les raisons qui avaient fait choisir cet emplacement devenaient en grande partie sans valeur ; mais des installations considérables avaient été faites et l'on ne songea plus à transporter la capitale dans un lieu plus convenable. Ce fut l'erreur, car ce qui se serait alors effectué‚ sans grande perte deviendrait aujourd'hui presque impraticable, bien que l'essor de la colonisation soit en grande partie paralysé par cette fâcheuse situation du chef-lieu.”  (1)

 

Ainsi s'exprimait Jules Garnier dix-huit ans après la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France.

Encore plus tard, en 1884, chargé‚ de mission en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides, Henri Courmeaux écrivait dans son rapport :

 

La rade de Nouméa est incontestablement bonne et sûre, mais de port, il n'en existe pas, c'est-à-dire que rien n'est fait pour l'accostage des navires, rien pour l'embarquement et le débarquement des marchandises, encore moins pour la réparation des bâtiments. En un mot, pas de quai, pas de wharf, pas de cale de halage, pas de bassin de radoub ou de carénage, pas de docks, pas même le plus petit hangar sur la rive, c'est navrant et dérisoire.” (2)

 

Reconstituer l'histoire des cinquante premières années du port de Nouméa n'est pas une entreprise aisée et quand on a fini, on reste insatisfait car bien des questions de détail se sont posées auxquelles on n'a pas trouvé‚ de réponse convenable à donner. C'est que la maturation a été lente, freinée par l'indécision des responsables et le manque de moyens mis à leur disposition pour réaliser les aménagement portuaires les plus indispensables et résoudre les problèmes posés par le choix d'un site dont l'adaptation aux besoins évolutifs de la colonie est rapidement apparu contestable aux usagers de l’époque.

Que de désirs n'ont pu être satisfaits ! Que de projets ont avorté‚ ou n'ont jamais fait l'objet d'un commencement de réalisation ! Laissons provisoirement les questions du wharf, de la cale de halage, du bassin de radoub, des docks, pour ne nous intéresser ici qu'au quai proprement dit. Sa seule construction fut une longue et laborieuse affaire, inséparable de la construction de la ville elle-même.

On a du mal à penser que Tardy de Montravel ait eu la vision d'une grande cité se développant sur l'emplacement qu'il avait choisi pour établir le second “poste permanent gardé” où, selon les instructions qu'il avait reçues, devrait dorénavant flotter le drapeau français en Nouvelle-Calédonie. Il n'y avait pas de cours d'eau à moins de dix kilomètres, tout juste une petite source sur l’île Nou, et très peu d'espace aisément constructible au pied des collines dominant partout la baie. Ce que cherchait cet officier, ce n’était pas un emplacement pour établir une colonie de peuplement, mais une rade en eaux profondes, bien abritée des vents et facile à défendre, pour y disposer d'une escale sûre sous la protection d'un poste militaire. La baie de Nouméa lui parut mieux convenir que celle de Saint-Vincent qu'il avait auparavant visitée, essentiellement parce qu'elle présentait entre l’île Nou et la grande terre un beau plan d'eau qui, hormis un banc corallien assez gênant en son centre (3), constituait une belle rade en eaux profondes.

La Vue Générale de Port-de-France (I),“prise de l'arsenal de l'artillerie le 20 novembre 1859”, due à la plume de Louis Triquéra (4), donne une bonne image de l’état du site urbain du chef-lieu de la colonie après six ans d'installation. Au premier plan, l'anse Aventure (5), au centre la colline du sémaphore au pied de laquelle ont été construites les premières bâtisses, se détache sur un arrière plan montueux. J'ai repassé‚ d'un trait épais la partie de la côte où devait être construit le quai (A) et la plage (B) protégée par la langue de terre surmontée d'une butte schisteuse où l'agent de colonisation Conneau avait fait construire son habitation, bien visible sur le dessin (C). Le centre actuel de Nouméa, c’est-à-dire la partie comprise entre la rue de l'Alma, la rue du Général Mangin, l'avenue du Maréchal Foch et le côté sud du grand parking de la Moselle, était sous l'eau. Les navires venaient jeter l'ancre sur des fonds de six à huit mètres (D), face à la partie du quai actuel comprise entre les prolongements de nos rues Anatole France et de la République. Pour faciliter l'accostage des chaloupes, deux débarcadères en bois avaient été construits perpendiculairement à la côte. Le plus important se trouvait au pied de la butte Conneau, très exactement dans le quadrilatère délimité aujourd'hui par les rues Jules Ferry, Jean Jaurès, Anatole France et du Général Galliéni ; il s'appuyait sur une avancée en pierres peut-être maçonnées. Le plus petit touchait la côte à l'emplacement où se croisent actuellement les rues de la République et du Général Galliéni ; un autre dessin de Triquéra, pris cette fois de la butte Conneau pour illustrer la couverture de L'Entr'acte, “Journal du Théâtre” (II), nous le montre tel qu'il était en 1858 : un appontement d'une dizaine de mètres de long tout au plus, d'aspect fragile ; une baleinière y est amarrée qui attend le gouverneur Du Bouzet sur le point de quitter Port-de-France, elle est pratiquement aussi longue que l'appontement et paraît plus large. Ces deux débarcadères figurent sur le plus ancien des plans de Port-de-France, celui que l'on doit à l'officier du génie Charles Lesdos (III).

À partir d'un alignement défini par le sémaphore et le sommet du Mont Coffyn, Charles Lesdos a esquissé le plan en damier de la future ville et tracé une ligne de quai assez compliquée pour tenir compte à la fois des contraintes naturelles et du nécessaire projet urbain avec lequel interférait l'installation plus ou moins anarchique des premiers colons, de part et d'autre de l'anse Aventure. Il existait alors un “Port-de-France nord“,établi au creux de l'amphithéâtre dominé par le sémaphore, et un “Port-de-France sud“, implanté sur les flancs de la pointe de l’Artillerie. Le projet envisageait tout simplement de réunir les deux groupes d'habitat tout en créant l'espace à urbaniser qui manquait par la technique du polder. La carte (III) montre la mise en train de la première étape de cette opération qui a consisté en la construction d'une digue jetée vers l'est à partir de la butte Conneau, c'était la future rue Inkermann, rebaptisé depuis, Anatole France ; après quoi, l'espace marécageux situé au nord de la digue serait comblé‚ avec du remblais provenant de l'arasement de la butte.

Les étapes suivantes devaient procéder du même principe, d'autres digues furent construites : l'une, perpendiculaire à la première, prolongeait vers le sud la future rue Sébastopol au delà de l'avenue de la Victoire ; l'autre, en oblique entre les deux, devait finalement servir de support à l'actuelle rue du Gouverneur Sautot dont l'orientation approximativement N.W. - S.E. rompt l’uniformité‚ du plan en damier pratiquement méridien. Pendant plus de dix ans, le port du chef-lieu de la Nouvelle-Calédonie n'offrit pas aux navires qui le visitaient d'infrastructure de débarquement plus élaborée que les appontements figurant sur la carte de Lesdos. Il fallut attendre la démolition par la mer du principal de ces débarcadères, miné par les tarets, pour que, le 14 mai 1866, le gouverneur Guillain chargeât par arrêté officiel son secrétaire colonial, le lieutenant de vaisseau Adolphe Matthieu, de faire le nécessaire pour qu'un quai de déchargement fût construit "dans le prolongement de la rue Inkermann" (6). L'entreprise privée avait d'abord été‚ sollicitée pour réaliser ce travail ; un entrepreneur du nom de Ralph s’étant proposé pour construire le quai, il fut longuement débattu de cette affaire par une commission spécialement désignée pour cela (7). Finalement, comme d'une part Ralph n'avait pas suffisamment étoffé son projet et que d'autre part l'administration semblait vouloir multiplier à son égard les réserves et les contraintes, l'entrepreneur retira sa proposition et nous avons vu que c'est le service local qui fut chargé‚ de la construction du "quai".

En fait, il s'agissait encore d'un débarcadère que le gouverneur appela “pont de la transportation” (8), parce qu'il avait été réalisé par la main-d’oeuvre pénale, dans des délais fort longs : deux ans et demi se sont écoulés entre le jour ou Guillain a arrêté la construction du “quai”et le 26 décembre 1868, date à laquelle il le mit à la disposition du public (9).

La construction du premier véritable quai en pierre et maçonnerie ne devait être entreprise qu'en 1875 (X), sous le gouverneur De Pritzbuer. En quinze ans, de nombreux plans projets relatifs à la construction du quai et au développement à donner à la ville avaient été conçus, mais rien de sérieux n'avait été entrepris, en particulier au niveau du quai. La plupart de ces plans projets ne s’éloignaient pas trop du modèle premier de Lesdos (IV) (VI) mais l'un d'eux, datant de 1864, attire l'attention (V) parce qu'il rompt radicalement avec les principes jusque là retenus, - plan en damier remblayage de l'espace compris entre la butte Conneau et le fond de l'anse Aventure, quai en ligne brisée pour suivre la ligne de profondeur des eaux de quatre mètres -, et semble fondé sur des idées carrément opposées : on préfère au remblayage le creusement de trois darses qui auraient fait de la butte Conneau une sorte d’îlot, et le tracé des rues ne devant plus s'effectuer sur des terrains plats à gagner sur la mer, tient davantage compte des contraintes du relief environnant. En fait, on est frappé‚ par la ressemblance qu'il existe entre ce projet et le plan de la ville de Rochefort aux alentours de 1800 dont l'auteur s'est très certainement inspiré

Le quai en pierre entrepris en 1875 était achevé fin 1878. Après un premier tronçon de soixante mètres, commencé en 1876, on l'avait prolongé‚ jusqu’à cent cinq mètres si bien que, parallèle à l'axe méridien du plan de ville, il s’étendait entre les prolongements des rues Turbigo et Inkermann (10), tel qu'il figure sur le plan de 1880 (VIII) qui n'est pas un plan projet mais une représentation réelle de Nouméa au début de la décennie quatre-vingts. Il était vraiment temps : le petit appontement situé en face de la Direction du port (11) suffisait à peine pour les besoins des divers services de l'administration et le “pont de la Transportation” était si notoirement insuffisant pour satisfaire tous les besoins du commerce que c'était sur une plage assez incommode d’accès que les petits navires débarquaient les marchandises, alors que les trois-mâts devaient recourir aux chalands pour le faire, d’où une perte de temps considérable et des dépenses supplémentaires de manutention.

La technique employée pour construire ce quai avait consisté à établir un système de charpente en bois permettant de constituer ensuite des coffrages pour couler du béton. Pour cela on avait commencé‚ par enfoncer de deux mètres cinquante dans la roche des "pilots" d'une longueur de dix mètres là où la profondeur des eaux était de cinq mètres aux plus basses marées; le "pilot" était garni d'un "sabot" muni d'une pointe en acier à sa partie inférieure et d'une "frette" en fer à sa partie supérieure sur laquelle une "sonnette" armée d'un "mouton" d'une demi-tonne laissait tomber ce poids d'une hauteur de six mètres. Les "pilots" mis en place sur deux lignes espacées de quatre mètres, d'autres pièces "coaltarées" (12) étaient boulonnées pour achever de former une solide charpente : les "écharpes" qui réunissaient deux à deux les "pilots" dans le sens transversal et les "liernes" qui les réunissaient dans le sens longitudinal, étaient disposées sur deux lignes, une en haut, l'autre au niveau des plus basses marées ; des "entretoises" qui formaient la partie supérieure de la charpente, servaient à maintenir les "liernes" des deux parois à la même distance. Une fois la charpente achevée, en procédant de la même façon que pour les "pilots", on avait ensuite enfoncé‚ dans la roche des pièces de bois appelées "palplanches" le long des deux lignes de "liernes". Ceci fait, on avait disposé d'un alignement de coffres de vingt-cinq mètres de long sur quatre de large à l'intérieur desquels on avait coulé‚ du béton jusqu’à une hauteur convenable au moyen d'un tramway Decauville circulant sur une passerelle de service. Pour finir, il restait à remblayer jusqu'au quai avec des pierres et de la terre provenant de la butte Conneau en voie de complet arasement.

À peine terminé‚ ce premier fragment de quai en pierre se révéla insuffisamment adapté‚ aux besoins du port parce qu’à partir de 1883 les paquebots des Messageries maritimes touchèrent Nouméa une fois par mois et qu'il leur fallait pour aborder, disposer d'une longueur de quai plus importante et surtout de profondeurs supérieures à six mètres, ce qui n'était plus le cas au voisinage du quai où, si les fonds étaient à plus de six mètres au moment de son achèvement, l'envasement, dû essentiellement au manque de précautions des usagers,- qui débarquaient le charbon sans tendre la tente de récupération obligatoire et se débarrassaient des ordures du bord, de leurs escarbilles et éventuellement d'une partie de leur lest en les jetant à l'eau -, avait fait perdre en trois ans une quarantaine de centimètres de profondeur, disaient les plus optimistes, au moins deux mètres, assuraient certains avec sans doute quelque exagération. Et il n'y avait pas sur place de drague convenable pour curer régulièrement le long du quai (13).

Le gouverneur d'alors, Pallu de la Barrière, était un homme passionné par l'œuvre de développement de la colonie qu'il avait entreprise mais il était trop mobilisé‚ par l'accomplissement du programme prioritaire de construction de routes qui lui avait été confié‚ pour entreprendre assez tôt et mener à bien la construction d'un tronçon de quai supplémentaire de trente-sept mètres cinquante dans le prolongement de celui qui existait. Il engagea la municipalité à emprunter un million pour réaliser un vaste programme de travaux dans lequel la construction du quai serait entrée pour une somme de cent mille francs. Mais il quitta la colonie au tout début des travaux préliminaires, alors que seule était montée une clôture destinée à interdire la circulation sur le quai où l'on allait établir le nouveau chantier. D'emprunt municipal pour les travaux publics, il n'y en eut pas et la construction du tronçon de quai prévu resta en suspens pendant plus de deux ans car, par manque d'argent, on interrompit les travaux quand les maigres crédits alloués pour l'année furent épuisés. Sur le chantier abandonné, le matériel laissé sans entretien se détériora au point d’être rendu inutilisable au moment de la reprise des travaux.

Entre-temps, une construction tout à fait nécessaire avait enfin été réalisée. Cela peut sembler incroyable mais, alors que sur tous les points de la côte pratiquant quelque échange commercial régulier par mer existaient des hangars destinés à abriter les marchandises, il n'y avait pas encore au début de 1886 le moindre dock sur le quai de Nouméa. Le service local n'avait jamais trouvé‚ les crédits suffisants pour s'engager dans la construction d'un tel bâtiment qu'il estimait trop coûteux et pas véritablement prioritaire en regard de tout ce qu'il y avait à accomplir, et il répugnait en même temps à laisser l'entreprise privée réaliser dans des conditions motivantes une installation aussi indispensable pour le commerce local (14). Finalement, le maire d'alors, Charles-Michel Simon, fit voter les crédits nécessaires pour la construction d'un hangar.

Terminé‚ en moins de deux mois, ce hangar se révéla tout de suite utile car on put enfin débarquer des marchandises par mauvais temps sans trop leur faire subir de dommages. Mais il était, paraît-il, affreux ce pauvre hangar, réalisé‚ avec des charpentes et des tôles de récupération provenant d'un navire naufrage‚ le Bordeaux, en parfaite "harmonie", si l'on peut dire, avec le triste quai, inachevé‚ mal entretenu, qui se détériorait un peu plus chaque fois qu'il faisait gros temps et devenait de moins en moins abordable à cause de la montée des fonds qui s’était accélérée lorsqu'au milieu de l'année 1887, l'administration pénitentiaire avait entrepris de faire combler l'ancienne cale de carénage de la flottille située à la pointe Constantine en y déversant tout simplement de la terre meuble que la mer entraînait jusqu’à l'appontement en pierre du port.

Au milieu de 1888, les travaux du quai avaient enfin repris de manière active sous l’énergique direction du chef du service des ponts et chaussées Berthier et, en dépit d'une nouvelle interruption des travaux au mois d'août par manque de crédits, à la fin de l'année Nouméa disposait d'un quai en pierre de cent quarante-sept mètres cinquante de long sur vingt mètres de large, s’étendant en ligne droite depuis le prolongement de la rue Turbigo jusqu’à plus de trente-cinq mètres au nord du prolongement de la rue Inkermann. Il n'est pas question alors d'en rester là. Il faut regagner le temps perdu et se donner les moyens de poursuivre la construction du quai afin de le faire assez grand pour que les paquebots des Messageries maritimes consentent à y accoster et qu'un caboteur à quai ne soit plus contraint d'interrompre son déchargement pour laisser la place à un courrier prioritaire.

À cette époque la construction du quai se trouve à un tournant, au propre comme au figuré. Au sens propre en effet car pour suivre le plan adopté de longue date (VIl) et repris par la commission coloniale de 1888, il fallait, une fois le niveau de la rue Inkermann dépassé, donner au quai une orientation plus proche de l’azimut N.-N.E. qui lui aurait fait faire avec le tronçon déjà construit un angle de cent cinquante-huit degrés. Au sens figuré parce que ce plan allait être abandonné au profit d'un quai en ligne droite.

Le promoteur de cette idée est Ambroise Roger, l'un des deux rédacteurs de L'Avenir de la Nouvelle-Calédonie, un journal qui paraissait à Nouméa en ce temps-là. Roger pense que la ligne brisée rendra l'accostage moins commode et critique le fait que le projet prévoie qu’après avoir atteint la hauteur de la rue Marignan (15), la nature de la construction serait modifiée pour abaisser la hauteur du quai de manière à rendre plus facile le débarquement pour les petits navires. Selon lui, "au point de vue de l'harmonie, du style, ce serait affreux"et l'avantage serait à peu près nul car par vent d'ouest, les petits navires se réfugient dans la baie de la Moselle et c'est là que devraient s'effectuer les opérations d'embarquement et de débarquement des petits navires. Le prolongement du quai en ligne droite par contre, outre les avantages d'esthétique et de meilleures conditions d'accostage permettrait de prendre sur la mer environ cinquante mille mètres carrés ce qui, compte tenu de la valeur des terrains ainsi gagnés, rendrait le coût de l'opération pratiquement nul ; sans compter que les terres de remblai pourraient être tirées de la "butte qui masque l'hôpital" (16) ce qui permettrait d'ouvrir la ville sur l'anse du Tir et de rendre constructibles des terrains qui sans cela ne le seraient pas aisément à cause du relief (17).

Roger était si sûr de lui que quelques jours plus tard (18), il offrit publiquement de rembourser le service local du montant des dépenses que nécessiterait la construction du quai en échange des terrains à gagner sur la mer. En cas d'accord, il s'engageait à mettre immédiatement une somme de cinq cent mille francs à la disposition de l'administration. Selon ses calculs, le coût total de la construction de cinq cents mètres de quai se monterait à1 337 500 F et les terrains gagnés sur la mer rapporteraient au bas mot 1 350 000 F d'où un bénéfice garanti d'au moins 12 500 F.

L’idée était bonne et le calcul correct. Roger prit contact avec des financiers qui acceptèrent de fournir les fonds et le 10 décembre 1888, il adressa au Conseil général une lettre libellée en ces termes:

 

" Monsieur le Président du Conseil général

"Art. 1° - J'ai l'honneur de proposer au Conseil général de rembourser au Service local le montant intégral des sommes à dépenser pour la construction du mur du quai, entre le point où il est arrêté actuellement au Nord de la limite du terrain affecté à la Flottille pénitentiaire, d'après le dernier plan de ville approuvé, ainsi que les frais occasionnés par le remblai de la partie comprise entre la ligne du projet en cours d'exécution et celle résultant du prolongement en ligne droite de la partie construite, considérant que la valeur des matières approvisionnées, jointes au crédit de 60.000 F. voté par le Conseil général, pour l'exercice 1889, représente l'équivalent de la dépense à taire pour remblayer la partie comprise entre la berge actuelle et la limite du quai, telle qu'elle est figurée au dernier plan de ville approuvé.

"Art. 2. - Le Service local s'engage, en échange, à me taire abandon de tous les terrains compris entre la limite du terrain réservé à la Flottille pénitentiaire, la rue Solférino, la rue Marignan et une rue non dénommée qui relie la rue Marignan à la rue Inkermann, en passant devant le n° 7 du plan de la ville par une perpendiculaire abaissée de l’extrémité du quai actuel sur la dite rue, sauf une bande de 30 m de largeur en bordure du quai à construire".

 

Jusqu'alors, personne ne s'était vraiment intéressé au quai comme moyen de gagner beaucoup d'argent ; le développement des affaires amorcé avec une vigoureuse reprise de l'activité minière donnait une importance accrue au port de Nouméa et laissait envisager la possibilité de réaliser de fructueuses opérations dans un secteur ou pratiquement tout restait à faire. Il y eut donc polémique sur les avantages et les inconvénients respectifs du quai en ligne droite et du quai en ligne brisée. Polémique d'abord conduite en sous main par le nouveau maire, Sauvan, et le conseiller général Bascans, l'un et l'autre personnellement intéressés à ce que le quai ne fût pas continué en ligne droite parce que la maison du premier et le Café de la Marine appartenant au second se seraient alors trouvés moins proches du port d'où, pensaient-ils, une perte de valeur. Sauvan, Bascans et leurs amis, réussirent provisoirement à faire échec au projet. Plusieurs votes sur la question au cours de séances du Conseil général donnèrent des résultats contradictoires. Pendant ce temps les travaux se trouvèrent pratiquement suspendus et les quelques cinquante mètres de quai achevés en juin 1888 n'étaient toujours pas livrés aux usagers un an plus tard tout simplement parce que la main-d'oeuvre pénitentiaire avait été retirée au service des Ponts et Chaussées qui ne pouvait pas dans ces conditions faire poursuivre les travaux de remblai. La ligne droite fut finalement préférée par l'administration et un vote du Conseil général entérina ce choix. Roger renouvela alors sa proposition, allant jusqu'à offrir cette fois 550 000 F tout en acceptant de renoncer aux terrains nécessaires pour le tracé des rues, ce qui, avec les trente mètres laissés tout le long du quai, représentait à peu près la moitié de la surface gagnée sur la mer. Mais Roger avait de farouches ennemis qui, trouvant son idée bonne et l'ayant approuvée après l'avoir un temps dénigrée, agirent de leur mieux pour en tirer profit à sa place. Le président du Conseil général, Pélatan, dont la voix prépondérante avait fait adopter le projet de quai en ligne droite lors de la séance tenue exceptionnellement le dimanche 8 septembre 1889, contribua dans une large mesure quelques jours plus tard à la mise à l'écart de la proposition de Roger. La réunion du Conseil général qui se tint le 16 septembre 1889 donna lieu à une séance orageuse et confuse. L'ordre du jour ayant appelé la discussion des propositions faites par Roger, dès les premiers mots du rapporteur les interruptions fusèrent : partisans et adversaires du projet échangèrent des "paroles véhémentes" et rapidement le tumulte devint "indescriptible". Dans la confusion la plus totale, le président Pélatan refusa la question préalable, fit voter l'ordre du jour pur et simple et leva la séance. Au cours de la séance tenue deux jours plus tard, le 18 septembre, Bascans proposa de continuer le quai en ligne droite vers le sud, pas vers le nord. Mise aux voix, la proposition de Bascans fut adoptée à une large majorité. Ainsi, en deux temps, Roger s'était trouvé écarté d'une éventuelle opération financière à réaliser sur le quai. Etait-ce seulement en considération du bien commun ? Il y avait au moins deux avantages à continuer le quai dans la direction du sud : le premier pouvait paraître de bon sens, les remblais nécessaires étant moins importants, les travaux seraient plus rapides et l'objectif le plus urgent à atteindre était une longueur de quai suffisante, non un gain de terrains sur la mer ; le second présentait un caractère plus technique, prolonger le quai vers le nord, ce serait faire obstacle à l'écoulement des eaux à l'époque des pluies (19). Ces avantages étaient présentés comme compensant largement l'inconvénient qu'il y avait a déplacer le chantier (20) de l’extrémité de la rue Marignan sur les berges de la baie de la Moselle. Mais il était facile de démontrer que le premier avantage mis en avant n'en était pas véritablement un : le quai prolongé vers le sud, où le niveau des basses eaux se trouvait à quatre mètres seulement, serait inutilisable par les grands navires, il ne correspondait donc pas aux besoins avancés par ses promoteurs. Aussi, dans son journal, Roger ne manqua-t-il pas d'arguments pour dénoncer dans le vote du 18 septembre une "manœuvre des intérêts particuliers de la finance juive" (21). Sans doute n'avait-il pas tout à fait tort. Le 5 octobre, La France Australe, le"journal des grandes compagnies",publiait un article intitulé "Une Grosse Question" dans lequel, après avoir fait un sort à la proposition de Roger, le rédacteur annonçait de nouveaux plans relatifs au quai :

 

"Cette fois, il s'agirait d'une combinaison grandiose, qui serait élaborée et présentée sous peu par un groupe de Calédoniens connus. Nous usons à dessein du qualificatif grandiose, car il ne s'agirait de rien moins que d'assurer à la ville une ceinture complète de quais qui partirait de la pointe de l'Artillerie, épouserait le contour de la baie de la Moselle, longerait la ville et, franchissant la pointe Constantine, irait aboutir dans l'anse du Tir, en doublant la surface utilisable de Nouméa. Ce gigantesque travail serait, paraît-il, exécuté entièrement aux frais des concessionnaires, auxquels les terrains gagnés sur la mer resteraient acquis et les quais affermés".

 

Ce nouveau projet présentait un avantage de départ non négligeable, à mettre directement en rapport avec la proposition de continuer le quai en ligne droite vers le sud, c'est que cette tranche de travaux, la première, annonçait-on, d'une longue série, pouvait être entreprise immédiatement car les études en avaient été faites en 1878 et approuvées par le chef de la colonie dans la séance du Conseil privé tenue le 30 juillet de la même année. C’est alors que le directeur de l'intérieur de l'époque, Fawtier, favorable à la continuation du quai dans la direction du nord, agit dans la mesure de ses moyens pour faire obstacle à l'exécution de la dernière décision du Conseil général, dans l'espoir qu'un nouveau revirement se produirait dans l'assemblée locale et qu'un nouveau vote remettrait à l'honneur le plan de construction du quai vers le nord. Il ordonna donc de suspendre les travaux pour faire procéder à une enquête de commodo et incommodo ainsi qu'une nouvelle étude. Ayant été "informé"que l'enquête avait eu lieu et que l'étude était faite depuis longtemps, il ordonna la reprise des travaux (22). Quelques jours plus tard, ils étaient de nouveau interrompus par ordre du directeur de l'Intérieur qui expliqua sa décision à la Commission coloniale par le fait que si l'on disposait bien du plan et des profils du projet de quai étudié en 1878, il avait été impossible de trouver dans les archives de la municipalité les pièces écrites de ce projet, c'est-à-dire : le métré, le détail estimatif de la dépense et le rapport à l'appui du projet (23). Tout cela se passait en octobre 1889. Puis la main-d'œuvre pénale vint à manquer, mais peut-être le directeur de l'intérieur n'avait-il pas fait le nécessaire pour l'obtenir. La Commission coloniale présidée par Bascans demanda de nouveau des explications au directeur de l'Intérieur qui reconnut avoir fait traîner les choses en longueur jusqu'à la fin de décembre mais, assura-t-il, "sur ordre du gouverneur". A la suite de quoi, le 11 janvier 1890, la Commission coloniale adressa une lettre de protestation au gouverneur Noël Pardon. La réponse du chef de la colonie datée du 15 janvier assurait la Commission coloniale qu'il partageait depuis longtemps ses regrets au sujet du retard apporté aux travaux du quai et il ajoutait :"..J'estime comme vous que la situation actuelle ne saurait se prolonger et je prendrai, croyez-le bien, les mesures nécessaires pour y mettre un terme".

 

Le 17 janvier, Fawtier était suspendu de ses fonctions, Les travaux reprirent activement et le tronçon de trente-cinq mètres de quai en direction de la baie de la Moselle était déterminé au mois d'août; Il ne restait plus qu'à combler l'espace entre le quai et la berge avec les déblais offerts par le propriétaire du terrain (24) situé à l'angle des rues Inkermann et Solférino, à qui l'administration creusa ainsi une cave magnifique sans bourse délier, Quelle explication donner à tout ce qui s'était passé ? Si l'on en croit Ambroise Roger, c'est Alcide Desmazures, lié à la compagnie Le Nickel, ce qui lui assurait à la fois le soutien du gouverneur, du chef de l'Administration pénitentiaire, Beuvrand de la Loyère, et du Conseil général, qui était à l'origine de la décision de poursuivre les travaux de quai dans la direction de la baie de la Moselle.

 

"La grande spéculation de M. Desmazures, écrit-il, consistait à prendre à sa charge la construction du mur du quai et les remblais à partir de la pointe où se trouvent les ateliers de la municipalité jusqu'à l'alignement de la rue Rivoli avec retour d'équerre dans la direction de l'Artillerie ; il devait en échange recevoir les terrains gagnés sur la mer. Mais l'affaire ne devenait bonne que si le mur du quai était continué en régie jusqu'au point où M. Desmazures entendait commencer son opération et c'est jusqu'à ce point que la majorité nickelée du Conseil voulait que les travaux fussent continués." (25)

 

Tout naturellement, Roger présentait Fawtier comme le défenseur des intérêts de la colonie, - à qui le directeur de l'Administration pénitentiaire avait refusé la main-d'oeuvre pénale qu'il demandait pour les travaux de quai parce qu'il l'avait fournie en priorité aux "grandes compagnies" minières, - suspendu de ses fonctions par un gouverneur affairiste, personnellement engagé dans des spéculations financières fondées sur les grands travaux à réaliser pour l'aménagement du port de Nouméa (26).

À la fin de 1890, la Municipalité avait fait construire vis-à-vis des rues de l'Alma et Marignan, un endiguement en bois qui rendait service à la navigation côtière et le quai en pierre mesurait cent quatre-vingt cinq mètres de long ; le dernier tronçon réalisé avait été exécuté dans des délais tout à fait raisonnables mais, nous l'avons signalé, sur des fonds insuffisants pour permettre aux paquebots des Messageries maritimes d'accoster. Aussi le Conseil général vota-t-il pour 1891 un crédit de 80 000 F. destiné à construire un nouveau tronçon de quai d'une centaine de mètres de longueur, en ligne droite, dans la direction du nord cette fois, là où les fonds atteignaient huit mètres aux plus basses eaux. Il n'est pas inutile de préciser ici qu'au mois de juin le Conseil général avait été renouvelé et qu'à l'occasion d'une élection partielle, Ambroise Roger avait été élu conseiller général. Il prit très vite un ascendant certain sur l'assemblée locale. Dans ces conditions, le gouverneur jugea prudent d'adresser à Paris une étude relative à l'aménagement des rives de la baie de la Moselle, effectuée sur son ordre par le service des ponts et chaussées, se démarquant ainsi d'Alcide Desmazures qui pour les suites à donner à ses projets dans ce secteur, aurait dorénavant à s'adresser au Ministère et non plus au gouverneur, En même temps, il faisait suspendre les travaux demandés par la Commission coloniale conformément à la décision du nouveau Conseil général, en prétextant que de récentes instructions ministérielles prescrivaient aux gouverneurs des colonies de ne laisser engager aucune affaire qui puisse mettre en question la propriété de terrains à gagner sur la mer, le Département se réservant de régler ce problème, et il remaniait le budget en supprimant tout crédit pour la construction du quai. Un peu plus tard, sur intervention du directeur de l'intérieur Laffon, il revint partiellement sur cette décision en consentant à accorder l'inscription de 40 000 F au budget de 1891 pour la poursuite des travaux de quai. C'était insuffisant. L'opinion publique murmura et Roger accusa carrément le gouverneur de stopper les travaux dans le seul but de monter une combinaison à partir d'un projet adressé pour approbation au Département, que John Higginson avait promis d'appuyer et qui aurait permis de mettre en jeu des sommes équivalentes à une vingtaine de millions pour le plus grand profit personnel de Noël Pardon. Sans préjuger du désir du gouverneur Pardon de chercher à créer un brassage d'affaires dont il aurait pu tirer bénéfice, on ne voit pas quelle autre explication donner à ses décisions. La colonie était alors prospère, il y avait dans la caisse de réserve 390 000 F dont on aurait pu prélever 100 000 F sans risques pour continuer la construction d'un grand quai nécessaire aux affaires qui marchaient alors beaucoup mieux que le développement du port (27). D'autre part, la combinaison dénoncée par Roger existait bel et bien. A Paris, une société était en train de se constituer autour de l'ingénieur Hersant, aux fins de financer la construction d'un bassin de radoub, de continuer le quai en ligne droite et de remblayer la baie de la Moselle ; cette société comptait bénéficier de la main-d'œuvre pénale pour réaliser les travaux et devait recevoir pour prix de ces réalisations, en plus des terrains gagnés sur la mer, la concession du quai et du bassin de radoub pour une durée de cinquante ans.

Noël Pardon ayant quitté la colonie le 14 avril pour n'y plus revenir, les 40 000 F de crédit qu'il avait autorisés à contrecœur permirent de reprendre immédiatement les travaux. A la mi-juin, quarante mètres de "pilots" étaient enfoncés, les coffrages étaient en place et l'on coulait quotidiennement quarante mètres cubes de béton, si bien que le mur du quai progressait de deux mètres par jour.

Le plan de campagne des travaux à exécuter en 1892 envisageait la construction de cent cinquante nouveaux mètres qui porteraient, dans la direction du nord, l'extrémité du quai à trente-deux mètres au-delà de la rue Marignan. Le coût d'une telle réalisation étant évalué à 249 005,30 F, l'administration demandait l'inscription de 190 000 F de crédit pour les travaux de quai au budget de 1892 et un crédit supplémentaire de 60 000 F pour l'exercice courant. Cette demande était accompagnée de considérations fort justes relatives aux inconvénients qu'il y avait eu à procéder jusqu'alors par petites étapes, en engageant chaque fois des sommes modestes dont on pouvait disposer sans faire appel à l'emprunt et sans puiser dans la caisse de réserve : le quai avait avancé lentement, n'avait qu'une utilité limitée et les frais généraux avaient été exagérément élevés en raison de la multiplication des chantiers successifs par manque de suivi dans la réalisation du projet. En fait, depuis la reprise des travaux, il en avait coûté 88 000 F pour réaliser de 1877 à 1889 un tronçon de 42,50 m, 68 600 F pour les 38 m construits en 1889-90, et les 40 m entrepris en 1891 étaient financés par un crédit de 40 000 F (28). Il en avait donc coûté en tout 196 000 F pour bâtir 123,50 m de quai, ce qui, par rapport aux dépenses envisagées pour après 1891 ne paraît pas excessif en chiffres absolus, mais c'est parce que tout ce qui avait été construit jusque là, l'avait été à une distance peu éloignée de la berge, ce qui avait limité les dépenses de remblai, et dans des profondeurs d'eau variant entre 4,5 m et 7 m. Avec sa proposition d'inscrire un crédit de 190 000 F au budget de 1892 pour réaliser 150 m de quai, le deuxième bureau présentait un projet à la fois raisonnable, bien argumenté et chiffré. Il s'agissait, pour compléter les 225,50 m de quai existant, d'en construire, en ligne droite vers le nord, une longueur supplémentaire de 473,70 m qui porterait l'extrémité du quai au nord de la rue de la République, pour obtenir une ligne d'accostage tout à fait satisfaisante, en gagnant par la même occasion une importante surface de terrain sur la mer. Pour un mur de quai de huit mètres de hauteur, présentant une largeur de 5 mètres à la base et de trois mètres au sommet, d'un prix de revient évalué à 1 413,75 F le mètre linéaire, le coût total d'une telle réalisation était estimé à 705 568,28 F, compte tenu des dépenses à engager pour remblayer derrière les 40 mètres en voie d'achèvement.

Si on calcule le prix moyen du mètre linéaire de quai remblayé construit de 1887 à 1891, sur des fonds variant entre 4,50 m et 7 m, assez proches de la berge, on trouve 1 681, 26 F soit 267, 41 F de plus au mètre que dans le projet présenté par le deuxième bureau qui concernait des travaux à effectuer sur des fonds de 8,50 m pour une longueur de 250 m, et de 2,50 m en moyenne pour une autre longueur de 250 m, avec des remblais bien plus considérables, compte tenu de l'éloignement plus grand du rivage naturel.

En novembre 1891, le tronçon de quai commencé en avril était terminé mais le manque de matériel Decauville ne permit pas de procéder immédiatement au remblayage et c'est à la fin de janvier 1892 que, 450 m de voie ferrée ayant été posés, on entrepris de combler le vide derrière le mur du quai avec 15 000 m3de matériaux pris à la colline de la pointe Constantine et transportés au moyen de wagonnets par quarante condamnés arabes,

Pendant ce temps, à Paris, Noël Pardon s'efforçait de faire accepter par le Département le projet de bassin de radoub qui lui tenait à cœur, tandis qu'à Nouméa, Émile Laffon, gouverneur par intérim puis gouverneur en titre, s'occupait de faire améliorer le port. Se fondant sur les données présentées par le deuxième bureau à la fin de 1891, il fit établir un projet de prolongement du quai en ligne droite sur une longueur de 200 m vers le sud, pour 360 000 F, et de 500 m vers le nord, pour 76 000 F, soit une dépense totale à prévoir de 1 120 000 F. On n'avait jamais envisagé jusqu'alors d'engager d'un coup de telles dépenses pour le quai mais cette opération devait faire gagner 29 000 m2de terrain à lotir ; en 1891, les lots de ville au voisinage du quai s'étant vendus 45 F le mètre carré (29), à ce prix, la surface gagnée sur la mer rapporterait à la vente 1 305 000 F, d'où l'intérêt évident de l'opération qui offrait par là même toutes les garanties nécessaires pour effectuer l'indispensable emprunt.

En attendant, si la ligne de quai commençait à avoir une certaine allure avec ses 229 m de long, les grands navires ne pouvaient toujours pas y aborder à cause de l'envasement que l'on ne parvenait pas à enrayer et derrière le mur du quai, c'était un paysage lamentable : des barrières vétustes, des hangars branlants, des barques de chantier posées des années auparavant à l'extrémité de la rue Inkermann étaient toujours là, constructions lourdes et gênantes au bord d'un cloaque repoussant, marais infranchissable par temps de pluie, nid de poussière aveuglante et qui salissait tout par temps sec. On remédia tant bien que mal à ces inconvénients en rechargeant un peu le remblai et en démolissant les barrières mises en place en 1885. Et les travaux ayant repris sous la direction de Munier, un actif conducteur de travaux des Ponts et Chaussées, le 18 novembre 1893, vingt-cinq mètres de quai supplémentaires étaient livrés au public. Ils comportaient dans l'axe de la rue Marignan un escalier de pierre destiné à faciliter pour les caboteurs l'embarquement et le débarquement des passagers aussi bien que des marchandises légères.

Au fur et à mesure qu'il s'est étendu, le "grand quai" a fait disparaître de petits appontements construits par la Municipalité, l'Administration pénitentiaire ou des particuliers. Il s'agissait toujours de petits wharfs en bois, qu'il fût question des "petits wharfs de la pénitentiaire" (30), du "petit quai de la Moselle" (31), du "quai du Chalandage" ou "petit quai de la Thisbé" (XI). Ce dernier, le plus important pour l'activité commerçante du port, était situé à peu près dans l'axe de la rue de l'Alma ; modeste appontement, il était équipé de deux grues artisanalement construite avec de vieux mâts pour décharger les bateaux de la société Le Chalandage qui s'occupait de cabotage et surtout du déchargement des grands navires, lesquels, nous le rappelons, ne pouvaient pas venir à quai à cause de leur tirant d'eau trop important; Cette société, fondée par un nommé Léon Vincent, bénéficiait de l'appui de la Maison Ballande, dont l'importance à Nouméa était déjà très grande en ce début de la dernière décennie du siècle, et la Municipalité votait des subventions pour l'entretien de ce “quai ”, important pour le port car c'était l'endroit où l'on déchargeait les marchandises apportées par les paquebots des Messageries maritimes.

À la fin de 1893, faute d'argent, le gouverneur Picquié licencia une partie des employés des Ponts et Chaussées et les travaux du quai furent bientôt interrompus. Il semblait impossible de poursuivre convenablement les aménagements du port sans emprunter, ce que l'on n'a jamais fait finalement avant 1899 en dépit des diverses propositions allant dans ce sens.

Ce nouveau temps mort dans la gestation du quai de Nouméa allait durer plus de cinq ans ; la décennie 1890 s'annonçait moins prospère que la précédente et la colonie ne pouvait plus, en comptant sur ses seules ressources, trouver les capitaux nécessaires pour financer l'équipement du port du chef-lieu. Au niveau des assemblées locales, plutôt que de s'engager résolument dans la voie audacieuse et stimulante d'un emprunt constructif, on se reprit à discuter sur la ligne à donner au quai restant à construire. L'idée fut avancée de revenir sur le plan du quai en ligne droite pour ménager une darse dans le prolongement de la rue de l'Alma afin de faciliter l'accostage des bateaux du petit cabotage (XIII). C'était revenir en quelque sorte au plan projet de 1863 (IV). Achille Ballière, ancien déporté de la Commune évadé de Nouvelle-Calédonie avec Rochefort et revenu dans l’île depuis, s'occupait alors de la rédaction du journal La Bataille qu'il avait fondé le 17 juin 1893. Architecte de formation, il était pleinement qualifié pour donner un avis autorisé sur ce nouvel avatar que d'aucune auraient voulu pour le quai de Nouméa. Il ne s'en priva pas. Selon son analyse, fondée sur l'expérience que l'on avait des darses aménagées dans les ports de métropole - il cite Honfleur, le Havre, Marseille -, il ressortait que :

 

" Si on laissait faire la darse, étant donné la disposition des rues de Nouméa, elle deviendrait le dépotoir de tous les détritus de la ville. Ce serait la peste installée dans le pays..." (32)

 

A ceux qui prétendaient qu'une darse était nécessaire pour les petits caboteurs, il rétorquait :

 

"Le petit cabotage, mais il a son port tout désigné, où il est obligé de se réfugier par les très gros temps et quand on redoute un cyclone : c'est la baie de la Moselle ! Il n'y a pas encore de quai, me direz-vous ? Mais employez le prix de vente des terrains qui seraient perdus par l'emplacement de votre darse (...) à en construire et vous n'aurez pas empoisonné la ville, vous n'aurez pas rompu la belle ligne du grand quai et vous aurez pour le petit cabotage un port qui sera beau, plus grand que votre darse malpropre, dans laquelle les regards seraient exposés à voir flotter tous les animaux de la ville et tous les déchets de viande, de volailles, de poissons et de légumes jetés du pont des navires en rade..." (32)

 

En fait, Ballière voyait tout simplement dans ce projet une nouvelle tentative pour favoriser des intérêts particuliers aux dépens de l'intérêt général et il rendrait publiquement responsable de "démolir une oeuvre relativement grandiose pour y mettre une toute petite machine toute ratatinée qui deviendrait un foyer d'infection" des «gens intéressés",qu'il ne nommait pas mais désignait le plus clairement du monde, c'était la société Le Chalandage et ceux qui lui assuraient leur appui :

 

"Le nouveau projet a si bien pour but de sauver quelques chalands et deux grues faites avec deux vieux mâts de bateau, qui se trouvent placées dans le prolongement de la rue de l'Alma que, contre toute règle, on coupe la rue à la rencontre de la darse, pour ne pas avoir à déplacer deux engins qui ne valent pas une livre sterling la pièce..." (33)

 

La campagne de presse d'Achille Ballière porta ses fruits. En avril, le Conseil général abandonna définitivement le projet de darse, envisagea de continuer les travaux du quai sur la baie de la Moselle et de construire une estacade en bois de 113 m de long sur 15 m de large à adosser au quai en pierre. Cette délibération de l'assemblée locale inspira de nouvelles critiques constructives à Achille Ballière:

 

"C'est bien, et ce serait parfait de tous points si on n'arrête pas les travaux en avant vers le boulevard de ceinture de l'hôpital, quitte à faire, en passant devant la rue de l'Alma, le petit radeau en question. Car, si on abandonne le travail de ce côté pour aller là-bas (...). Le matériel en cours n'en sera pas moins immobilisé, c'est-à-dire perdu. Et nous aurons une darse naturelle qui va rester entre la rue de l'Alma et la tête des petits wharfs de la pénitentiaire..." (34)

 

Ni l'estacade en bois (35), ni la darse ne furent réalisées à cause du manque de moyens financiers et, en mars 1897, la mer démolit le"petit quai" ; les treuils qui ne valaient pas "une livre sterling la pièce", furent mis hors d'usage par le gros temps et les caboteurs se trouvèrent en grande peine pour débarquer leurs marchandises pondéreuses. Comme en même temps, chaque fois qu'il pleuvait un peu fort les parties non macadamisées du grand quai se transformaient en bourbier ou s'enfonçaient sous le poids des marchandises entreposées là sous bâches et que le quai, en raison de l'envasement n'était plus abordable par les bateaux d'un tirant d'eau moyen qu'en face de la rue Marignan, il finit par apparaître des plus urgents de réparer les dégâts et de reprendre les travaux de construction du quai trop longtemps abandonnés.

En juin 1899, le Conseil municipal débattit d'un programme de travaux reprenant le projet de 1891, c'est-à-dire la construction du quai en ligne droite de la pointe Constantine à l'avenue Cassini (36), soit 310 m de quai en plus vers le nord et 180 m en plus vers le sud , à cela s'ajoutait un projet d'aménagement de la baie de la Moselle : 460 m de quai au nord, 200 m au sud, 220 m à l'est. Soit en tout 1 370 m de quai à construire pour une dépense évaluée à 1 500 000 F. S'il avait été mené à bien, ce projet élaboré du temps du gouverneur Feillet aurait à peu près réalisé le quai figurant sur le plan de ville de 1904 (IX).

Durant la première période de son gouvernement en Nouvelle-Calédonie, Paul Feillet s'était surtout occupé de favoriser le développement de la colonisation libre, c'est seulement après son retour de métropole en 1897 que, en même temps qu'il poursuivait son programme de colonisation tout en s'occupant de briser dans la colonie l'opposition acharnée que son autorité trop cassante y avait suscitée, il entreprit de réaliser de grands travaux de modernisation parmi lesquels figuraient aux meilleures places la construction d'un chemin de fer ainsi que l'aménagement du port qu'il espérait voir classer parmi les points d'appui de la flotte et qu'il voulait capable d'accueillir les grands paquebots aussi bien que pouvaient le faire les ports de métropole ou d'Australie.

En juillet 1899, par arrêté du gouverneur, la Municipalité de Nouméa était autorisée à contracter un emprunt de 650 000 F, remboursable en trente annuités et portant intérêt annuel de six pour cent. L'emploi des fonds à provenir de cet emprunt était déterminé comme suit :

 

- Construction et achèvement du quai .....................................................................................................400 000 F

- Marché couvert......................................................................................................................................125 000 F

- Rues de la ville........................................................................................................................................75 000 F

- Dépenses de l'émission............................................................................................................................50 000 F

 

Il était alors de nouveau question de wharf, de bassin de radoub, de drague... Quant au quai, on débattit une nouvelle fois publiquement de la ligne à lui donner. A partir d'une proposition du capitaine Vidal, un officier de marine établi en Nouvelle-Calédonie depuis 1877 et qui, jusqu'en 1899, avait fait du cabotage entre Nouméa et les points les plus isolés de la côte (37), on imagina une nouvelle orientation oblique du quai, vers le nord-ouest cette fois, en direction de la pointe Lambert de l’île Nou (38). Ainsi continué vers les grands fonds, le quai, tout en protégeant la rade des vents du nord-ouest, permettrait aux paquebot d'accoster directement et donnerait par cette extension toute latitude aux caboteurs pour débarquer leurs marchandises à toute heure du jour et de la nuit. L'idée n'était pas tout à fait originale. En 1889 déjà, Ambroise Roger imaginant le port de Nouméa dix ans plus tard, parlait d'une "jetée de 150 m se dirigeant de la pointe Lambert sur la presqu’île Ducos" qui fermerait la rade pour en faire l'une des plus sûres du monde ; mais c'est Achille Ballière qui, lorsqu'il combattait le projet de darse, imagina, en 1894, deux digues allant à la rencontre l'une de l'autre, la première à partir de la pointe Lambert, la seconde à partir de la pointe Constantine ; ces deux digues placées à peu près parallèlement auraient brisé les lames formées par les vents du nord-ouest, lesquels provoquaient de gênants mouvements de levée qui faisaient frotter les navires contre la muraille du quai, tout en permettant le passage des navires de la grande rade Ducos vers la rade du port à travers une passe en chicane que l'on aurait draguée profondément;

Le projet du capitaine Vidal reprenait partiellement cette idée : à cause de la présence du pénitencier et par manque d'argent, il n'était pas question alors de faire de l’île Nou la presqu’île qu'elle est maintenant devenue. Le gouverneur Feillet qui, revenant un jour par mer de la presqu'île Ducos où il était allé passer une inspection, n'avait pu, à cause du gros temps provoqué par le vent de nord-ouest, accoster au débarcadère "habituel" et s'était trouvé dans l'obligation de débarquer à l'appontement de l'Artillerie, était tout à fait favorable au projet. Evidemment, à cause de cela, ses opposants lui trouvèrent aussitôt de graves défauts et rendirent publics un contre-projet où l'on voyait reparaître la darse, avec un quai ne dépassant pas de plus de cinquante centimètres le niveau des marées hautes, s'étendant entre l'extrémité nord du quai déjà construit et la pointe Constantine, ensemble enrichi d'un wharf perpendiculaire au grand quai dans le prolongement de la rue de l'Alma.

Le 28 juillet 1899, le Conseil municipal, au cours d’une séance "quasi secrète", vota une adoption de principe du projet de quai en ligne oblique vers la pointe Lambert et décida d'emprunter la somme de 650 000 F dont nous avons détaillé plus haut quel devait être l'emploi.

Le projet en question ne devait pas être réalisé dans les années qui suivirent. Après le départ définitif du gouverneur Feillet, le Conseil municipal revenu au projet de quai en ligne droite dès juillet 1899, ne le réalisa pas non plus exactement suivant le plan adopté.

Mais en octobre 1899, la construction du quai reprenait activement, en ligne droite vers le nord (XIII). La butte derrière l'hôpital à travers laquelle on entreprit le percement de la rue Rivoli (XIV), fournit les matériaux nécessaires à tous les remblayages dont on avait besoin (XV).

Le 26 octobre 1899, La Calédonie, journal dévoué au gouverneur Feillet, décrit en ces termes l'affairement que l'on peut observer dans cette partie de la ville, signe manifeste du retour de la prospérité :

 

"(...) le service des travaux municipaux a ouvert un nouveau chantier sur le flanc nord de la butte qui se trouve sur l'alignement de la rue Rivoli (...) une voie Decauville partant de la Vallée du Tir et contournant toute la partie nord du bâtiment de l'hôpital vient aboutir au débarcadère de la capitainerie du port. Là viennent aussi d'être commencés les premiers travaux nécessaires pour permettre de continuer la plate-forme du chemin de fer Decauville. Une sorte d'appontement va être construit pour relier cette partie du débarcadère du port au grand quai qui lui fait face. La mise en place des pieux et des traverses est déjà commencée et dans quelques jours, certainement, on entendra le sifflet de la locomotive, annonçant que le programme des travaux du quai est entré définitivement dans la voie d'exécution".

 

En janvier 1901, les limites du port de Nouméa, fixées jusque là aux extrémités de la petite rade comprise entre l'île Nou, la pointe Constantine et la pointe de l'Artillerie, furent étendues au sud jusqu'à la pointe Chaleix et au nord jusqu'à la pointe Doniambo. Depuis les premiers travaux entrepris plus de vingt ans après la prise de possession pour réaliser un quai en pierre, jusqu'au début du vingtième siècle, vingt-cinq années s’étaient écoulées et un peu plus de deux cent cinquante mètres de quai seulement avaient été construits, soit une moyenne de dix mètres par an ; et seulement cinq mètres par an si l'on compte à partir de 1853, année de la prise de possession . Ce n'était sans doute pas très spectaculaire mais à la différence de bien d'autres entreprises, la réalisation du quai avait toujours été d'un bon rendement, d'abord parce que les terrains gagnés sur la mer ont chaque fois rapporté à la vente plus qu'ils n'avaient coûté, ensuite parce que le quai de Nouméa était d'une utilité si indispensable pour la colonie que l'adjudicataire des droits de quai fit toujours une bonne opération avec cette prise à ferme, même alors que les enchères s'étaient élevées à des niveaux bien plus hauts que prévus. Une étude du chiffre d'affaire réalisé à partir des revenus du quai serait riche d'enseignements, il n'entrait pas dans notre propos d'aborder cette question ici cependant, comme l'investissement qu'engagent les "businessmen" dans telle ou telle affaire est généralement un bon indicateur de la santé de l'entreprise sur laquelle elle est fondée, donner le montant de chacune des adjudications de la location du quai nous a paru digne d'intérêt.

En 1879, à la surprise générale, Paul Locamus proposa à la Municipalité de se charger de la perception des droits de quai pour la somme de 12 000 F ; tout ce que Nouméa comptait alors d'hommes d'affaires s'imagina qu'il faisait une mauvaise affaire, la suite démontra qu'il en avait fait une bonne. En 1884, la location du quai fut adjugée à Baker et Castex pour 25 000 F. Puis, Le Mescam fut déclaré adjudicataire pour 40 000 F en 1886, pour 42 200 F en 1889, pour 61 500 F en 1892 et pour 70 100 F en 1895. En 1898, la Maison Ballande enleva l'adjudication en proposant 96 500 F.

C'est là, on en conviendra, une progression assez remarquable pour attirer l'attention. Au mètre linéaire, le quai s'est donc loué 114,28 F en 1879, 238,09 F en 1884, 380,95 F en 1886, 286,10 F en 1889, 268,55 F en 1892, 275,98 F en 1895, 379,92 F en 1898. Une évolution qui reflète sans aucun doute les progrès de l'équipement, de la qualité du service rendu, mais surtout du mouvement des affaires à Nouméa et dans la colonie durant les vingt années concernées.

 

 

 

 

 

 

CHRONOLOGIE

 

 

 

Entre 1853 et 1866 : Deux appontements en bois facilitent l'accostage.

 

14 mai 1866 : Arrêté du gouverneur Guillain ordonnant la construction d'un quai de chargement en remplacement de l'appontement de la butte Conneau. détruit par le gros temps.

 

26 décembre 1868 : Arrêté du gouverneur Guillain mettant à la disposition des usagers le "pont de la Transportation".

 

1876: Construction de 60 m de quai en pierre, de direction méridienne, compris entre les prolongements vers l'ouest des actuelles rues de Verdun et Anatole France.

 

1878: 105 m de quai sont achevés.

 

15 avril 1879 : Première adjudication du quai en maçonnerie nommé "quai de la Municipalité".

Adjugé à Paul Locamus pour 12 000 F.

 

1883: Ouverture de la ligne Marseille-Nouméa par les paquebots des Messageries maritimes.

 

1884: La location du quai est adjugée à Bakeret Castex, 25 000 F.

 

22 juillet 1885 : Mise en route des travaux préparatoires pour prolonger le quai de 37,50 m.

Il s'agit du "grand quai" de 105 m par opposition au "petit quai" situé près de l'appontement de la Flottille pénitentiaire, entre le magasin des Messageries maritimes et le bureau du port (entre les extrémités des rues de l'Alma et Jean Jaurès). Les travaux sont presque immédiatement arrêtés et ne reprendront pas avant 1887.

 

1886: Un crédit de 50 000 F sur l'exercice 1887 est ouvert pour la réalisation des travaux de quai.

La location du quai est adjugée à Le Mescam, 40 000 F.

 

1887: Travaux de dragage avec des moyens de fortune le long du quai ; de janvier à octobre on retire 4 000 m3 de matériaux divers.

Approvisionnement du chantier en matériaux de construction, ceux rassemblés là en 1885 étant inutilisables.

 

31 octobre 1887 : Les travaux préparatoires étant achevés, on commence à procéder à l'immersion du béton pour prolonger de 37, 50 m en direction du nord les 105 m de quai existant déjà.

Un crédit de 50 000 F sur l'exercice 1888 est ouvert pour la réalisation des travaux de quai.

 

31 mai 1888 : Achèvement du nouveau tronçon de quai en ligne droite vers le nord. En fin de compte, il est d'une longueur de 42,50 m et doit être continué dans une direction obliquant à 22° vers l'est par rapport à la ligne de quai déjà construite.

Le quai mesure en tout 147,50 m. Jusqu'à la fin de l'année les travaux sont interrompus par manque d'argent. Les chantiers sont licenciés.

 

1889: Un crédit de 60 000 F est voté par le Conseil général mais les travaux ne reprennent pas par manque de main-d'œuvre disponible. Avec des effectifs réduits on approvisionne le chantier et on poursuit les terrassements derrière le mur du quai pour les achever fin janvier 1890.

Projet d'une “ceinture complète de quais”., englobant l'anse du Tir et la baie de la Moselle.

Décision du Conseil général de poursuivre la construction du quai, en ligne droite vers le sud.

Location du quai adjugée à Le Mescam pour 42 200 F.

 

1890: Du 19 mars au 30 juin, 38 m de quai sont construits dans la direction du sud. Les terrassements derrière le quai sont commencés en juillet et terminés le 20 février 1891. Le quai mesure alors en tout 185,50 m.

Le Conseil général vote une somme de 80 000 F à inscrire dans l'exercice de 1891 pour les travaux de quai ; le gouverneur Pardon modifie le budget en supprimant tout crédit pour le quai. Les travaux sont suspendus.

 

1891: Sur intervention du directeur de l'intérieur Laffon, un crédit de 40 000 F est ouvert en février. En avril les travaux reprennent. 43,50 m de quai sont construits en ligne droite vers le nord entre avril et novembre.

A la fin de l'année le quai est long de 229 m.

En octobre, le Conseil général vote 60 000 F sur l'exercice 1892 pour les travaux de quai et des crédits pour l'achat d'une drague.

 

1892: Travaux de terrassement derrière la ligne du nouveau tronçon de quai que l'on remblaie avec des matériaux pris à la colline Constantine.

La location du quai est adjugée à Le Mescam, 61 500 F.

Le gouverneur Laffonenvisage en avril de continuer le quai en ligne droite sur une longueur de 200 m vers le sud et de 500 m vers le nord.

En août, on procède à la démolition des barrières de chantier mises en place en 1885 à l'extrémité de la rue Inkermann.

 

18 novembre 1893 : 25 m de quai supplémentaire sont mis à la disposition des usagers, dont l'escalier placé dans le prolongement de la rue Marignan. Le quai mesure alors 254 m de long.

 

1894: En mars, une proposition est faite au Conseil général concernant l'abandon de la construction du quai en ligne droite pour construire une darse entre les axes des rues de l'Alma et Magenta. Projet non retenu.

En avril, la compagnie des Messageries maritimes suggère d'étudier la construction d'une estacade en bois où ses navires pourraient aborder. Le Conseil général fait étudier le projet. Il n'est pas retenu non plus.

 

1895: La location du quai est adjugée à Le Mescam, 70 100 F.

 

1897: En mars, les grandes marées détériorent gravement le "petit quai"'.

 

1898: La location du quai est adjugée à la Maison Ballandepour 96 500 F.

 

1899: En juin, le Conseil municipal débat de l'opportunité de faire un emprunt pour achever les rues de la ville (coût estimé : 608 575 F) et le quai (coût estimé : 1 500 000 F pour 1 370 m).

En juillet, après avoir débattu de la proposition relative à la construction du quai en ligne oblique vers l'île Nou (proposition du capitaine Vidal), le Conseil municipal décide de s'en tenir au projet de quai en ligne droite.

Le gouverneur Feilletautorise la Municipalité à faire un emprunt de 650 000 F.

En octobre, les travaux pour continuer le quai en ligne droite jusqu'à la Flottille pénitentiaire reprennent. Percement de la rue Rivoli à travers la colline qui sépare le centre ville de la vallée du Tir.

 

1901: Les limites du port de Nouméa sont repoussées vers le sud jusqu'à la pointe Chaleix et vers le nord jusqu'à la pointe Doniambo.