AVANT - PROPOS

 

Au cours d'un premier séjour effectué en Nouvelle-Calédonie, de 1974 à 1980, comme professeur dans un collège de brousse, à Bourail, j'ai entrepris un travail de recherche sur l’histoire de ce pays auquel j'étais en train de m'attacher, où je savais que je ne pourrais demeurer longtemps et que je voulais connaître mieux pour le comprendre autant que j'en étais arrivé à l'aimer.

Avec l'intention arrêtée de définir un sujet dans les limites chronologiques du XIXème siècle j'ai procédé au dépouillement du catalogue de la Bibliothèque Bernheim, à Nouméa, dont le "Fonds Réservé" était riche d'ouvrages de toutes sortes se rapportant à cette colonie du Second Empire devenue à l'époque un Territoire d'Outre-mer.

Dès le début de mes investigations, il m'est apparu idéal de m'intéresser tout spécialement à la presse locale. Le thème avait tout pour séduire. Pratiquement, le sujet était vierge ; le grand nombre de titres de journaux parus jusqu'en 1900 garantissait l’abondance de la matière et des péripéties, sans toutefois inciter au découragement puisque le premier journal connu fut imprimé à Nouméa en octobre 1859 : au XIXème siècle, je me trouvais donc limité à quatre décennies durant lesquelles les publications périodiques ont paru en nombre très variable suivant les années.

Poussant plus loin mes recherches avant d’arrêter ma décision définitivement, j'ai entrepris de passer deux ou trois jours à la lecture rapide de quelques spécimens pris au hasard puis à la lecture plus attentive d'une collection complète d'un journal donné. À partir de la Bibliographie de la Nouvelle-Calédonie, du père Patrick O'Reilly, ouvrage de base pour toute étude néo-calédonienne, qui consacre quelques pages fondamentales aux publications de presse, j'ai sélectionné La Vérité, quarante-quatre numéros parus en 1895.

Cette lecture a confirmé ma première impression : la presse néo-calédonienne de cette époque présentait de réelles qualités et la lecture de ces journaux allait être riche d’enseignements.

J'ai alors entrepris la lecture systématique de tous les journaux de la Nouvelle-Calédonie mis à 1a disposition du public et recherché des collections particulières. Très rapidement j'ai pris conscience que j'allais me heurter à deux difficultés majeures.

La première résidait dans l’éloignement et la dispersion des dépôts de journaux connus : Nouméa est à cent soixante-dix kilomètres de Bourail où j'habitais alors avec ma femme et mes enfants et il ne me fut pas accordé de mutation pour le chef-lieu. D'autre part, les collections de la bibliothèque Bernheim, qui étaient les plus complètes dont on disposait, présentaient cependant des lacunes qu'il fallait combler, en consultant d'autres collections, à Nouméa, en France, en Australie, à Rome.

La seconde, difficulté‚ se trouvait dans le manque de temps : il ne me restait plus que deux ans à passer en Nouvelle-Calédonie quand j'ai commencé la lecture des premiers journaux et je ne pouvais y consacrer que les jours de congé et les périodes de vacances. Ne voulant ni recourir à la méthode des sondages qui aurait fait courir trop de risques de fausser 1a réalité, ni réduire le cadre chronologique dont mes premières lectures avaient dégagé des aspects logiques imprévisibles à priori, j'ai adopté une méthode de traitement de la documentation qui m'a semblé la seule apte à permettre d’accomplir un travail absolument sérieux. Tout en recensant de la façon la plus complète possible les productions de presse correspondant au sujet défini, j'ai établi pour chaque numéro de chaque journal une fiche comportant le plan de 1’exemplaire que j'avais sous les yeux, l’analyse des principaux articles, des extraits qui me semblaient fondamentaux.

Ce n'était pas encore assez rapide ni suffisant, une fois de retour en métropole, il ne pourrait être question de me reporter à tel ou tel exemplaire précis déposé à Nouméa afin de vérifier un détail ou de préciser une donnée incertaine, il me faudrait donc disposer à domicile du maximum d'un ensemble considérable de textes imprimés parmi lesquels il était impossible d'établir par avance une trop sévère sélection. J'ai alors photographié de très nombreuses pages de journaux auxquelles il aurait fallu consacrer un temps considérable pour les lire en détail et en prendre note.

Ainsi, j'ai constitué à Nouméa une abondante documentation sur film photographique et je l'ai ensuite complétée à Paris aux Archives Nationales section Outre-mer (A.N.S.O.M.), à Versailles où se trouve l'annexe de la Bibliothèque Nationale (B.N.) conservant les périodiques, et par correspondance (Sydney, surtout ).

Partout j'ai rencontré‚ beaucoup de compréhension et de gentillesse de la part des responsables et du personnel des bibliothèques ainsi que des particuliers.

 

À Nouméa,

  • M. Bernard Brou, président de la Société d'Études Historiques de la Nouvelle-Calédonie, m'a donné de précieuses indications, ouvert bien des portes et permis ainsi d'accéder à des collections privées que j'aurais ignorées sans son concours ;

  • Mme Hélène Colombani, conservateur en chef de la bibliothèque Bernheim ;

  • M. Hubert Chavelet, alors directeur de la publication et rédacteur en chef du quotidien France Australe, qui a paru de 1889 à 1979 ;

  • Mlle Pégulan, archiviste de la Chambre de commerce ;

  • Le père Gérard Plasmann, responsable de la bibliothèque de l'Archevêché ;

Tous quatre m'ont grandement facilité l'accès aux collections dont ils avaient charge, me laissant toute liberté, même en des circonstances exceptionnelles, pour photographier les journaux autant que je voulais.

  • M. Luc Chevalier, conservateur du musée de Nouméa m'a confié des journaux de sa collection personnelle dont on ne trouve pas d'exemplaires dans les bibliothèques publiques.

À Paris,

  • Mlle Ménier, conservateur en chef des Archives Nationales, section Outre-mer, m'a aussi accordé les plus grandes facilités pour travailler suivant ma méthode et je n'ai eu qu'à me louer de la serviabilité de ses collaborateurs.
  • Il en a été de même à la Bibliothèque Nationale, annexe de Versailles, où j'ai achevé mon périple pour compléter mon information.

J'ai aussi pris contact avec la Mitchell Library, à Sydney :

  • Miss Mourot,- descendante de 1'un des principaux journalistes de Nouméa durant les années 1880,- qui venait de prendre sa retraite de "Mitchell Librarian", et Miss Anne Robertson, "Acting Mitchell Librarian", ont répondu au-delà de mes vœux aux demandes d'informations que j'avais formulées.

Enfin, à Nouméa, j'ai eu l'occasion de rencontrer des imprimeurs des typographes, des journalistes qui avaient exercé‚ avant que ne se répandît l'emploi des machines offset ou qui avaient connu dans leur jeunesse des hommes de la presse d'autrefois. Ce fut surtout André Legras qui, peu de temps avant son décès, m'entretenait de son père, du journal que celui-ci avait créé en l899, et que lui-même avait dirigé un demi-siècle plus tard : qu'il lui soit rendu hommage.

À tous, je tiens à exprimer ici mes plus vifs et sincères remerciements.

 

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Recenser les journaux de la période à étudier était chose facile. Dans la Bibliographie de la Nouvelle-Calédonie, cela avait déjà été fait, il me suffisait de m'y reporter et d'établir une fiche pour chaque titre.

Ce fichier a constitué ma documentation de départ‚ j'ai été amené à mesure que mes recherches avançaient à y corriger quelques erreurs de détail, à le compléter, ayant eu le bonheur de découvrir quelques publications éphémères non recensées par Patrick O'Reilly, et surtout à l'élaguer. J'ai en effet répertorié soixante-dix-huit titres, douze de ces périodiques n'ont rien de journaux et je les ai exclus de mon propos tout en les mentionnant dans ma bibliographie, vingt et un ont complètement disparu et ne sont connus qu'indirectement. Restaient quarante-cinq véritables publications de presse qui ont constitué le corpus sur lequel a porté véritablement mon travail.

Par la suite j'ai transcrit sur ces fiches des indications complémentaires comme le relevé systématique des collaborateurs principaux du journal, les thèmes le plus souvent traités‚ les tendances politiques défendues.

J'ai également établi un second fichier, biographique, en suivant la même méthode : prenant pour base les biographies relatives aux hommes de presse extraites de l'ouvrage intitulé Calédoniens, également dû à Patrick O'Reilly, je l'ai complété jusqu'à élaborer un fichier biographique spécialisé des hommes qui au XIXème siècle ont de près touché au monde de la presse néo-calédonienne.

Ces deux fichiers m'ont directement servi pour rédiger la bibliographie et l'appendice biographique que l'on trouvera ci-après.

Ils m'ont également servi tout au long de la rédaction de cette thèse pour la réalisation de laquelle il a fallu faire tout naturellement de fréquentes et minutieuses mises au point. Toutefois, à ce niveau de l'entreprise, l'essentiel de ma documentation a été constitué de fiches faites sur chaque numéro de journal que j'avais parcouru (environ 12 500) et par les clichés que j'avais tirés de pages contenant des articles intéressants (près de 16 000).

Pour utiliser ces clichés, je les ai laissés à l'état de négatifs et placés sous cadres cache afin de pouvoir les visionner au moyen d'un projecteur à diapositives et d'un écran. Cette méthode est satisfaisante par le fait que l'on dispose chez soi de toute la documentation nécessaire. Elle présente cependant, mis à part les frais relativement importants qu'elle occasionne, deux inconvénients :

- la chasse aux documents, si elle est fructueuse, est véritablement épuisante ;

- au moment d'utiliser une telle documentation, on est très longtemps gêné par son abondance.

Son grand avantage, compte tenu des particularités spécifiques de la presse, reste que, si les journaux représentent par eux-mêmes la presque totalité de la documentation d'une étude sur la presse, ils sont également une riche mine de renseignements sur une infinité d'autres sujets.

Pour terminer ma recherche de documents, j'ai aussi consulté des dossiers d'archives. Contrairement aux journaux, les archives de Nouvelle-Calédonie qui subsistent de cette époque étaient pratiquement toutes réunies en métropole. J'y ai effectué un certain nombre de sondages mais n'y ai trouvé que peu de pièces se rapportant à mon sujet, essentiellement des fragments extraits de rapports du gouverneur au ministre portant des jugements sur les journaux locaux, ce qui est intéressant mais pour une partie bien fragmentaire de la question seulement et j'ai dû, surtout par manque de temps, renoncer à dépouiller de façon exhaustive le contenu de tous les cartons d'archives se rapportant à la Nouvelle-Calédonie.

 

***

 

Dans cette étude, après avoir brièvement indiqué les principales caractéristiques de la Nouvelle-Calédonie comme colonie française durant la période qui s'étend de 1859 à 1900, j'ai choisi de présenter de manière chronologique une histoire essentiellement descriptive de la presse néo-calédonienne durant ces quatre décennies.

Tenant compte des changements fondamentaux d'origines tant externes qu'internes, il m'est apparu que l'histoire de la presse de Nouvelle-Calédonie pouvait être subdivisée, pour le XIXème siècle, suivant une chronologie comportant quatre périodes si caractérisées qu'un découpage d'apparence schématique s'imposait en fait tout naturellement

J'ai représenté à l'aide d'un tableau cette histoire au cours de laquelle on voit apparaître et disparaître tour à tour les journaux de la colonie. (T01)

À chacune de ces périodes a été consacrée une partie de mon propos, à l'exception toutefois de la dernière, la plus importante (ne serait-ce que sur le plan de la masse documentaire), que j'ai présentée en deux temps : l'arrivée du gouverneur Feillet en Nouvelle-Calédonie constituant pour la colonie en général et pour la presse en particulier un événement riche de conséquences.

À cet ensemble a été ajouté un chapitre destiné à exposer comment s'est effectuée à Nouméa la mise en place de la loi de 1881 sur la presse, et un autre chapitre où j'ai montré en quoi l'année 1899 a véritablement marqué la fin d'une époque pour la presse de Nouvelle-Calédonie.

Ce chapitre sur l'année 1899 devait servir de conclusion partielle à la première partie de la présente thèse, je me proposais de dépasser ensuite le stade de la description commentée en présentant de l'intérieur les diverses facettes de cette presse dont l'originalité tenait à la nature du monde composite, isolé et replié sur son insularité, auquel elle s'adressait et dont elle était issue.

Ainsi, une seconde partie aurait été consacrée à l'étude des principaux thèmes auxquels les journaux de la colonie ont marqué de l'intérêt

Certains de ces thèmes reviennent en permanence et sont traités par tous les journaux, quelles que soient, leurs options. C'est le cas par exemple des questions touchant à l'Administration pénitentiaire dont l'omniprésence dans la colonie ne pouvait laisser indifférente une presse qui se voulait démocratique. C'est aussi le cas des questions relatives aux mines, à l'élevage, au commerce, les trois piliers de l'économie du pays.

D'autres thèmes, relativement nombreux, ont un caractère moins permanent. Ils n'en méritent pas moins beaucoup d'attention car ils sont des reflets d'inquiétudes ou de mentalités, reflets caractéristiques d'un milieu dont l'étude sociologique est passionnante.

Cette étude thématique m'entraînait tout naturellement à tenter de donner une image de ce petit monde néo-calédonien de la fin du XIXème siècle, à définir les rapports que la presse locale entretenait avec cette société coloniale, des plus originales, dont elle était issue et qu'elle représentait.

Dans cette troisième partie, je pensais m'attacher plus particulièrement à l'étude des personnalités aux faits et aux gestes des hommes qui ont fait cette presse, quelquefois à leur corps défendant, le plus souvent avec enthousiasme et passion. Mais une fois rédigée l'histoire proprement dite de la presse néo-calédonienne sur une durée de quarante années du XIXème siècle, il m'est apparu clairement que mon projet était trop ambitieux pour tenir dans le cadre d'une thèse de type préalablement défini. Avec regret, il faut bien le dire, j'ai alors renoncé à construire comme je l'avais prévu les deux autres parties, pour les regrouper, exprimées plus succinctement dans des "commentaires", synthèse provisoire, me proposant de reprendre ultérieurement mon projet à l'occasion d'une étude approfondie de la société coloniale qui s'est constituée en Nouvelle-Calédonie à la fin du XIXème siècle.

J'avais prévu de placer en annexe une bibliographie descriptive et des notices biographiques des principaux animateurs de la presse néo-calédonienne de 1859 à 1900. Après les amputations que j'avais été amené à faire subir à mon projet initial, bibliographie descriptive et notices biographiques constituait plus que jamais à mes yeux le complément pratique indispensable qui devait terminer cet ouvrage.