III - Les ressorts de la presse.

 

Bien que leur prix au numéro ait généralement été assez élevé,- le triple en ce qui concerne les quotidiens par rapport à ceux de la métropole,- et en dépit des revenus assurés par les annonces publicitaires, les journaux néo-calédoniens n'étaient pas de ceux qui pouvaient vivre de leur tirage, au demeurant trop faible en quantité. Ils ne pouvaient paraître longtemps que s'ils étaient subventionnés et se trouvaient de ce fait liés à des commanditaires et placés dans l'étroite dépendance de forces financières, politiques, sociales, dont les influences se combinaient selon une alchimie dont il est la plupart du temps difficile sinon impossible d'analyser les subtilités.

Dans quelle mesure imprimeurs et rédacteurs étaient-ils libres d'expression ? Il est aléatoire de prétendre l'établir avec précision ni certitude car, si les allusions sont nombreuses concernant la vénalité et la servilité des journalistes de Nouvelle-Calédonie, si l'appartenance de tel ou tel journal à telle ou telle maison d'affaires ne fait quelquefois aucun doute, comment mesurer le degré de dépendance du journaliste vis à vis du commanditaire à partir de phrases plus ou moins tendancieuses relevées dans les colonnes des journaux adverses, si aucun conflit n'oppose l'homme de plume au bailleur de fonds ? Or, c'est souvent le cas. En dehors du chassé-croisé remarquable qui s'opère dans la presse nouméenne en 1884-85 et des changements importants que l'on observe en 1889-90, de l'extérieur les forces directrices qui animaient les différents journaux n'apparaissent pas toujours clairement et je n'ai trouvé aucun document d'archive, registre-comptable, contrat, lettre... qui donne quelque indication intéressante à ce sujet.

Seule la presse elle-même nous renseigne sur les forces qui la font agir.

 

1 - Les forces d'argent.

 

La Nouvelle-Calédonie présentait dans la seconde moitié du XIXème siècle deux pôles d'intérêt pour la spéculation : l'élevage et les mines. Le commerce, limité presque exclusivement aux importations et aux échanges locaux, n'avait qu'une ampleur restreinte, il constituait cependant une activité économique non négligeable dont l'importance sur le plan du chiffre d'affaires a augmenté régulièrement suivant en cela la progression démographique.

L'élevage et l'agriculture, les mines, le commerce, se sont trouvés pendant une quarantaine d'années, à des titres différents, en rapports étroits avec l'Administration pénitentiaire, autre force de premier plan dans la colonie, par l'importance qu'elle y tenait, par l'argent qu'elle y déversait.

Bien entendu, l'Administration pénitentiaire ne finança aucun journal, elle disposa pendant quelques temps d'une imprimerie autographique sise à Montravel, d'où sortirent quelques circulaires et l'Annuaire des Fonctionnaires Employés et Agents (Administration Pénitentiaire), mais c'est tout; cela suffit d'ailleurs à provoquer les protestations de Mourot contre cet imprimeur qui ne payait pas patente et lui faisait une concurrence déloyale.

Cependant, son rôle en Nouvelle-Calédonie était si important, sa présence si permanente en tous lieux, elle était si détestée malgré les avantages qu'elle pouvait procurer à la colonie, qu'il était tentant d'accuser un journaliste rival d'être l'écrivain officieux de l'Administration pénitentiaire. Ce fut le cas pour Epardeaux, traité de "journaliste vendu" et de "sous-de la Loyère" par Ambroise Roger (293). C'était peut-être justifié pour ce cas précis, car sans que j'aie vraiment approfondi la question, il m'est apparu comme à peu près certain que le gouverneur Pardon et le directeur de l'Administration pénitentiaire Beuvrand de La Loyère étaient personnellement intéressés à certaines affaires menées par une ou plusieurs importantes maisons franco-australiennes, probablement liées aux Rothschild, qui réalisaient en Nouvelle-Calédonie d'autant plus de bénéfices qu'elles pouvaient compter sur les bonnes grâces de la haute Administration. Il s'agit cependant là d'une rencontre exceptionnelle, du moins en apparence, les rapports de la presse avec l'Administration pénitentiaire étant plus généralement d'hostilité que de sympathie.

À l'origine, les capitaux privés se sont investis dans l'entreprise de presse moins pour le journalisme que pour l'imprimerie. Les actionnaires qui fondent l'Imprimerie Civile en décembre 1874, réunissent pour leur société anonyme un capital de 30 000 F. Cette fondation spéculait sur l'idée qu'une imprimerie privée une fois établie, l'Administration fermerait l'Imprimerie du Gouvernement et lui confierait ses travaux d'impressions : une manne assurée.

Mais l'Imprimerie du Gouvernement fut maintenue jusqu'à la fin de 1885 et la petite feuille d'annonces, rapidement agrandie après son lancement peut-être simplement pour témoigner que l'Imprimerie Civile était en mesure de produire un journal du format du Moniteur, cette feuille indépendante eut le temps d'évoluer et de devenir un véritable journal. La croissance des Petites Affiches ne fut pas chose facile, nous le savons déjà, les bénéfices de l'imprimerie, si bénéfices il y avait, n'étaient même pas suffisants pour permettre d'autofinancer le renouvellement du matériel usagé puisque, après moins de deux ans de fonctionnement, l'Imprimerie Civile eut besoin d'argent pour augmenter le matériel devenu "complètement insuffisant". Les actionnaires n'étaient pas de bien gros capitalistes. Ils hésitèrent à investir encore dans une entreprise de rapport aussi aléatoire. En assemblée générale ils décidèrent de lancer un emprunt par obligations d'un montant total de 30 000 F, ce qui aurait doublé le capital primitif. Nous avons vu que ce fut un échec si flagrant que la liquidation de la société fut décidée trois mois plus tard. Cependant cette liquidation n'eut pas lieu : après avoir essayé de faire financer l'Imprimerie Civile et son journal par l'ensemble de la population, cette tentative n'ayant pas réussi., les actionnaires reçurent une aide dont je n'ai pas découvert l'origine et les motivations. Toutefois, je suis tenté d'émettre l'hypothèse que le renfort financier nécessaire à la survie de l'Imprimerie Civile serait venu de John Higginson, le plus dynamique homme d'affaires agissant alors dans la colonie, que l'on trouve en 1879, parmi les principaux actionnaires de l'Imprimerie Civile, en conflit avec Joseph Bouillaud au sujet de l'annonce relative à une cérémonie de deuil bonapartiste que le directeur de La Nouvelle-Calédonie avait refusé de publier. Conflit au cours duquel je me dois de rappeler que John Higginson proposa aux actionnaires de l'Imprimerie Civile de leur acheter toutes leurs actions.

Cette intervention d'un homme dont les affaires multiples allaient par la suite déborder de plus en plus du cadre strictement local pour établir des contacts avec la haute finance parisienne et internationale, marque le début d'une époque où la presse calédonienne, d'abord entièrement subventionnée par des habitants de la colonie, allait peu à peu devenir tributaire de sociétés de dimensions nationales, voire internationales.

Higginson, dont les plus lucratives affaires étaient liées à l'exploitation des mines de nickel, ne prit peut-être pas immédiatement ni directement le contrôle de l'Imprimerie Civile, cependant il eut sur la presse locale une action d'une ampleur aussi certaine que difficile à préciser dans toutes ses nuances. Il sut partiellement museler ses adversaires car rares sont les critiques excessives dirigées contre lui. Il est quelquefois attaqué dans les journaux mais très rarement de façon agressive et la plupart du temps de manière indirecte. Les journaux qui prétendaient défendre les petits colons libres et les petits mineurs indépendants avaient pourtant bien de quoi dire contre lui. Ce fut dit avec modération,- presque toujours,- qu'Higginson était à l'origine des contrats de main-d'œuvre pénale qui rivaient la colonie au bagne et que ses spéculations sur les terrains avaient retiré à la colonisation libre plusieurs milliers d'hectares pour les livrer à l'Administration pénitentiaire. Dans tous les cas ce fut plutôt cette dernière qui fut vilipendée. Sans doute parce qu'Higginson avait contribué au développement du pays, que sa réussite fascinait quelque peu, qu'il pouvait passer pour l'homme capable de trouver des solutions miraculeuses pour sauver la colonie en période de crise et qu'il œuvrait pour l'annexion des Nouvelles-Hébrides par la France. Tout cela dans son propre intérêt bien entendu, mais il avait l'art de faire admettre que c'était aussi et surtout dans l'intérêt de la colonie tout entière.

Dans l'autre grand domaine d'affaires que constituait l'élevage pouvaient être trouvés les capitaux nécessaires à la fondation d'un journal. Le plus prospère des éleveurs, Gratien Brun, finança Le Proprès de le Nouvelle-Calédonie. Le rôle de ce grand propriétaire est beaucoup plus discret que celui d'Higginson. Gratien Brun vivait le plus souvent sur ses terres et il ne participa que de très loin à la vie politique de la colonie : élu conseiller municipal de Nouméa, il ne siégea pratiquement jamais et fut déclaré démissionnaire par le gouverneur Olry pour manque d'assiduité.

Gratien Brun joua-t-il un rôle occulte à travers le journal que dirigeait Mourot ? C'est ce que laisse entendre une phrase de Jules Durand :

 

"Mourot, Roger, Epardeaux, feu Laborde et tant d'autres, n'ont rompu que des lances serviles, en un champ clos des écus de leurs fournisseurs". (294)

 

Cette affirmation est probablement fondée,- elle vient après tant d'autres semblables,- mais elle est fondée en partie seulement. Les journalistes restaient maîtres de leurs idées et ne faisaient de concessions à l'argent que dans certaines limites : Mourot rompit avec Larade et quitta Le Progrès, qu'il avait créé, parce qu'il était en désaccord avec lui sur l'orientation à donner au journal ; Epardeaux abandonna successivement la rédaction du Néo-Calédonien et du Progrès parce qu'on ne lui laissait pas assez d'indépendance ; Laborde ne rédigea ni n'imprima la moindre feuille anticléricale.

Plus profondément réelle est, peut-être, une autre affirmation de Jules Durand, qui précède immédiatement dans le texte original celle que je viens de citer ci-dessus. Elle met en cause les actionnaires de la presse locale en ces termes :

 

"Aux mains d'actionnaires le plus souvent illettrés, la presse, qui essayait de remuer l'opinion, fut muselée de bonne heure, serrée dans un coin, étouffée dans son libre arbitre, corrigée par des boutiquiers incapables d'apprécier les beautés de la langue française". (294)

 

C'est là une opinion qui peut se vérifier en ce qui concerne la presse du début de la décennie 1880 où, effectivement, les imprimeries et les journaux étaient financés par de petits capitalistes locaux, la plupart du temps groupés en sociétés anonymes. Mais dès 1885, l'importance prise par le nickel dans l'industrie métallurgique et les riches ressources minières de la Nouvelle-Calédonie étant connues, les grandes sociétés s'intéressent à la colonie pour leurs affaires : la banque Rothschild, associée par Higginson en 1880 à la compagnie Le Nickel qu'il avait fondée, prend progressivement le contrôle de la société puis de l'exploitation minière en Nouvelle-Calédonie ; la société Vivian, de Swansea, essaie en 1888 de concurrencer sur place la société Le Nickel mais ne parvient pas à entamer l'espèce de monopole qu'établissent insensiblement mais fermement les Rothschild sur les mines de la colonie.

Dans un domaine un peu différent, quelques importantes maisons de commerce et d'industrie alimentaire s'intéressent à la Nouvelle-Calédonie : Jouve, Ballande, Prévet sont les plus importantes. Concurremment ces trois maisons ont essayé d'obtenir notamment les contrats de fourniture de viande pour l'Administration. Il s'agissait d'un important et intéressant marché qui assurait une clientèle de plus de dix mille rationnaires et, le bétail étant sur place, il suffisait d'aménager les abattoirs nécessaires et de jouer habilement les intermédiaires pour acheter à bon compte la production des éleveurs.

Ce sont ces importantes maisons dont le siège est en métropole ou à l'étranger qui, dès 1885, interviennent plus ou moins directement dans le financement des journaux locaux pour en "tirer les ficelles": faire leur réclame auprès de l'opinion publique, faire élire leurs candidats aux assemblées locales ou à la Délégation. Vivian semble avoir été à l'origine du lancement de L'Avenir de la Nouvelle-Calédonie, financé par cette maison jusqu'en 1886 au moins ; à partir de 1889 c'est la maison Prévet qui prend le relais et, une fois L'Avenir disparu, s'assure la collaboration de La Calédonie. La société Le Nickel et la maison Jouve, qui ont de nombreuses attaches ensemble, subventionnent successivement ou simultanément divers journaux dont les plus importants sont Le Néo-Calédonien, Le Colon, La France Australe.

Les intérêts de la grande exploitation minière et ceux des maisons qui spéculent sur l'élevage calédonien convergent un temps : en relation étroite avec la transportation, les "grandes compagnies" ont besoin des condamnés pour la main-d'œuvre sur mine qu'ils constituent en vertu des contrats passés avec l'Administration pénitentiaire, laquelle est en outre leur premier client en ce qui concerne la fourniture de viande, également établie par contrat.

Mais ces intérêts divergent lorsque la population civile arrive à consommer plus de viande que la population pénale et la paie plus cher. Alors les "grandes compagnies" minières s'efforcent de maintenir le statu quo, de prolonger le plus longtemps possible, l'existence du bagne qui leur procure une main-d'œuvre avantageuse, tandis que les "grandes compagnies" de commerce et d'industrie alimentaire souhaitent sa disparition parce qu'il entrave l'immigration de colons et freine l'accroissement de la population libre. D'où l'importance des polémiques à propos du contrat de viande à partir de 1894 : chaque parti d'affaires disposant de sa presse et la faisant donner au mieux de ses intérêts. À travers la rivalité qui oppose La France Australe et La Calédonie dès 1892, rivalité qui se durcit par paliers avec de brusques aggravations en 1894 et 1896, on découvre un affrontement opposant les maisons Jouve et Prévet pour la conquête du marché de viande de la colonie.

La France Australe, journal de la maison Jouve, plus anciennement implantée en Nouvelle-Calédonie, possédant des intérêts en Australie et liée à la société Le Nickel, défend la thèse d'un marché ouvert aux importations de viande d'Australie pour faire baisser les prix de vente en Nouvelle-Calédonie.

La Calédonie est aussi libre-échangiste, mais pas toujours et, sous divers prétextes, elle soutient parfois la thèse d'une nécessaire protection contre les viandes exportées d'Australie. La Calédonie est le journal de la maison Prévet dont le chef est le sénateur Charles Prévet qui acquiert en 1888 l'usine de conserves de Ouaco. Cette acquisition qui marque la grande entrée de la maison Prévet sur la scène calédonienne, est à rattacher au transfert, lors du passage du général Boulanger au Ministère de la Guerre, d'un contrat de conserves de viande destinées à l'armée. Le marché, d'abord adjugé à une entreprise australienne, aurait ensuite été transféré au baron Digeon pour quatre millions, lequel baron manquant du capital nécessaire s'était associé avec Charles Prévet alors député de Seine et Marne.

Les prolongements de cette affaire ont peut-être été plus considérables qu'il n'y paraît de prime abord. Prévet semble bien avoir été soucieux de s'établir solidement en Nouvelle-Calédonie. Dans ce but il plaça à la tête, de son usine de Ouaco un directeur très compétent, Valéry Deligny, et s'assura les services d'un journal local, ce fut L'Avenir. Après la fuite, de Roger, on trouve comme principal actionnaire de l'imprimerie un éleveur, Jean Oulès qui, aussitôt, fonde l'Imprimerie Calédonienne et lance un nouveau journal, La Calédonie qui se révèle notoirement favorable aux intérêts de la maison Prévet.

On peut enfin se demander si, après les gouverneurs Pardon et Laffon, inféodés à Rothschild, le sénateur Prévet et le sénateur Challemel-Lacour n'auraient pas pu s'entendre pour faire nommer à la tête de la Nouvelle-Calédonie et l'y maintenir longtemps, un gouverneur susceptible d'appliquer une politique de colonisation visant à accroître par l'immigration le chiffre de la population libre de la colonie et favoriser le développement des affaires de la maison Prévet. Paul Feillet, neveu de ce sénateur-ci, promu gouverneur pour soutenir la bonne marche des affaires de ce sénateur-là ! Ce n'est pas impossible, la politique et les affaires étaient si intimement liées.

Ces rivalités d'origine politico-économiques ont dû être pour une bonne part responsables de la brève durée des séjours des gouverneurs entre Guillain et Feillet, et les gens de presse ont été utilisés pour contribuer au discrédit d'un gouverneur populaire. Le cas de Pallu de La Barrière est exemplaire : les faits ont démontré que la campagne entreprise contre lui par Julien Bernier était injuste et par conséquent commanditée puisque, après son exclusion du Néo-Calédonien, Bernier trouva aussitôt de quoi fonder L'Indépendant et continuer son travail de sape. D'autre part, peut-on expliquer autrement que par une volonté de contrer Pallu de La Barrière, ou de dénigrer, pour y mettre fin, l'institution des gouverneurs militaires, ces nominations de deux journalistes à des commandements au sein de l'Administration pénitentiaire, Henry Denis et Pierre Roux, qui se révélèrent plus compétents en tant que journalistes que comme commandants de pénitencier ?

 

2 - Les idées.

 

En 1879, l'attitude de Bouillaud qui, par esprit républicain préfère, quitter l'Imprimerie Civile et saborder son journal plutôt que de passer une simple annonce relative à une cérémonie religieuse donnée en l'honneur du prince impérial tué en Afrique (D10) , démontre cependant que les hommes qui firent au XIXème siècle la presse néo-calédonienne n'étaient pas tous des valets de plume. Tant s'en faut : le cas de Bouillaud est le plus spectaculaire, sans équivoque, dépourvu de toute nuance parce que le caractère entier du personnage ne lui permettait pas de faire la moindre concession lorsqu'il était question du respect de certains principes ; mais il ne s'agit pas là d'un cas unique et plusieurs des principaux journalistes dont j'ai étudié les actes ont été amenés à un moment donné à rompre avec leurs employeurs ou leurs amis, parfois par intérêt sans doute, mais aussi bien souvent par refus d'aliéner une certaine part de leur indépendance, par refus de se soumettre à un contrôle, par refus de se taire ou d'écrire ce qu'ils ne pensaient pas.

Jusqu'en 1886 l'opinion se partage entre deux tendances : l'une est catholique, respectueuse de l'évêque et des Maristes dont l'œuvre en Nouvelle-Calédonie est hautement estimée ; l'autre est plus hétéroclite, anticléricale, elle réunit francs-maçons, protestants et libres penseurs de toutes sortes. Cette situation est héritée d'une combinaison des divisions que l'on trouve en métropole et des circonstances propres à la colonisation de la Nouvelle-Calédonie où les Maristes ont été les premiers à s'établir alors que depuis longtemps des trafiquants avaient abordé pour se procurer du santal.

L'auteur de la série d'articles publiés au début de 1902 dans L'Écho de la France Catholique sous le titre La Mission de la Nouvelle-Calédonie, fait remonter à l'arrivée de Guillain, en 1862, la fin de la belle unité de pensée que les Maristes avaient instaurée en Nouvelle-Calédonie. Ce gouverneur, présenté comme un "disciple convaincu du Père Enfantin", aurait quitté Paris avec un système d'administration arrêté d'avance et, aux souhaits de bienvenue que lui adressait le supérieur de la Mission, il aurait répondu : "Vous avez votre mission à remplir, moi aussi j'ai mes idées à propager" ; et de multiplier les essais de phalanstères désastreux, et de propager chez les indigènes la "religion des soldats", et d'autoriser en 1868 l'ouverture de la Loge maçonnique "L'Union Calédonienne".

D'expérience phalanstérienne, nous n'en connaissons qu'une, son échec dut suffireà décourager toute autre tentative du même genre ; la "religion des soldats" n'a peut-être pas eu que des côtés négatifs, elle a pu notamment sauver quelques missionnaires du martyre ; quant à l'autorisation de la Loge maçonnique, il est visible que l'auteur de l'article la juge dans un esprit 1902 et ignore que l'Empire clérical de Napoléon III protégeait et contrôlait le Grand Orient dont la constitution a contenu jusqu'en 1877 l'obligation de croire en Dieu.

C'est néanmoins l'opposition Loge - Mission qui finalement permit à des colons de s'opposer à d'autres colons dans le jeu politique local qui bien souvent ne servait qu'à travestir des rivalités d'intérêts. On se rendit compte de l'inadaptation des divisions politiques métropolitaines traditionnelles quand eurent lieu les premières élections pour désigner un Conseil municipal, en 1879. Tout le monde était républicain, même si certains se réclamaient de l'Ordre moral et d'autres s'avouaient nostalgiques de l'Empire.

Cette division dualiste de l'opinion a été une donnée permanente dans la Nouvelle-Calédonie des trois dernières décennies du XIXème siècle, tantôt presque endormie, tantôt manifestée avec violence, tantôt compliquée d'apports extérieurs.

Après 1877, la Loge se scinde en deux tendances, "L'Union Calédonienne" et "Western Polynesia" qui restent groupées au sein de la "Loge maçonnique française et écossaise", ce qui n'entamait donc pas vraiment l'unité de la franc-maçonnerie locale.

Parmi les journalistes de ce temps, plus nombreux sont ceux qui se disent libres penseurs ou anticléricaux, francs-maçons ou non, que ceux qui s'avouent cléricaux ou catholiques pratiquants. Ce sont d'abord les anciens déportés, Mourot, Roger, Ballière, etc...; ce sont les protestants, Lomont, Surleau...; d'autres dont la pensée est moins facile à classifier : Bernier, Bridon, Epardeaux, Larade...

En 1884 éclate une crise qui mûrit depuis deux ans : Bernier dirige alors Le Néo-Calédonien, Mourot Le Progrès, tous deux sont anticléricaux, ce qui les divise c'est l'attitude à tenir vis à vis du gouverneur Pallu de La Barrière ; autour de Marius Armand s'est constitué L'Union démocratique de propagande anticléricale qui publie au début de 1883 une feuille éphémère, Le Moniteur de l'Anticléricalisme. Face à ce trio, Laborde a fondé Le Nouvelliste, "pour défendre les intérêts catholiques" écrit-il ; "ce journal est né d'une haine particulière" prétend Bernier.

Fin mai, début juin 1884 donc, l'anticléricalisme semble triompher. Laborde, à bout de ressources, ne peut plus faire paraître Le Nouvelliste; Pallu de La Barrière, que Bernier accuse de connivence avec les cléricaux (295) , est remplacé au poste de gouverneur par Le Boucher, que l'on connaît pour franc-maçon à Nouméa depuis le long séjour qu'il fit dans la colonie de 1863 à 1874 ; Le Néo-Calédonien et Le Progrès sont devenus trihebdomadaires à la fin de 1883. Des actionnaires "cléricaux"ont bien pris le contrôle de l'Imprimerie Civile mais ils ne peuvent imposer leur loi à Bernier qui quitte Le Néo-Calédonien et fonde L'Indépendant les nouveaux "maîtres"du Néo-Calédonien enfin placent à la tête de ce journal Albert Epardeaux, un jeune homme qui au bout d'un an, ne pouvant accepter une tutelle trop contraignante les abandonne et se tourne vers la Loge.

Devant cette situation qu'elle a semblé juger fort grave, la Mission fonda alors sa propre presse.

Mais les apparences étaient trompeuses. En 1885, le gouverneur Le Boucher se révéla plus favorable à la Mission qu'on ne l'avait supposé tout d'abord et Bernier, pour rester logique avec lui-même en ce qui concernait sa campagne contre Pallu de La Barrière, soutint jusqu'au bout le premier gouverneur civil de la colonie. Pour sa part, après avoir quitté Le Progrès pour incompatibilité d'humeur avec son nouveau commanditaire Larade, Mourot entra à la rédaction du Néo-Calédonien; quant à Epardeaux, après un bref passageau Progrès et les six numéros du Casse-Tête Calédonien, il abandonna provisoirement la presse alors que L'Écho de la France Catholique commençait sa longue carrière

Dans Le Progrès du 20 juin 1885, Epardeaux en étant le rédacteur en chef, un entrefilet de la Chronique Locale ironise sur l'entrée de Mourot au Néo-Calédonien :

 

"Ugène au Néo, qui l'eût cru ? Il signe simplement K. Pourquoi n'avoir pas redoublé l'initiale ?"(sic).

 

C'était peut-être le besoin qui faisait agir Mourot, peut-être pas ; on a dit qu'il retournait à ses premières classes parce qu'on savait qu'il avait fait ses études au séminaire, la personnalité de chacun évolue et il n'est pas rare que les hommes brûlent ce qu'ils avaient adoré. Le Boucher était en 1870 un fonctionnaire franc-maçon, quatorze ans plus tard il fut un gouverneur plutôt favorable aux Maristes. Bernier, si farouchement anticlérical dans les années 1880, si fâché en 1885 contre Epardeaux qui l'avait gravement offensé dans Le Casse-Tête Calédonien (D26), prend ce dernier comme collaborateur dès mai 1886 et, en 1890, avec la bénédiction de L'Écho de la France Catholique, il succède, à son vieil adversaire Laborde qui vient de mourir, à la tête de La France Australe. (296)

Dans L'Avenir du 23 septembre, Roger estime que c'est le gouverneur Pardon qui a fait entrer Bernier à La France Australe par l'intermédiaire de ses amis du "Nickel" pour continuer "la politique pardonienne qu'Epardeaux a inaugurée dans le Colon". C'est possible, mais la fin de la vie de Bernier, beaucoup plus édifiante du point de vue catholique que sa période journalistique, témoigne de la sincérité et de la profondeur de son changement d'opinion, à tel point que, au lendemain de son décès, le R.P. Lambert qui était son ami, lui rendit dans L'Écho de la France Catholique un hommage posthume sous le titre Une belle conversion en Nouvelle-Calédonie.

J'aime à penser qu'il y a toujours dans l'homme une part de lui-même que l'on ne peut acheter. Les changements que l'on observe chez les journalistes sont les seuls indices qui permettent de subodorer les influences qu'ils subissent ; leur interprétation permet rarement d'établir de façon probante si c'est la corruption qui est à leur origine ou une conviction sincère. Menaces et tentatives de corruption sont dénoncées par les journaux de l'un et l'autre bord (297), et si l'on a tout lieu d'être impressionné par la fermeté de Joseph Bouillaud en 1879, le cas d'Édouard Bridon, qui a été sans aucun doute le journaliste que l'on a le plus accusé de versatilité et de servilité (294), mérite également qu'on y prête attention.

Lorsque Bridon arrive en Nouvelle-Calédonie, il est franc-maçon. Il l'est peut-être encore en 1888 lorsque, en compagnie de Roger, il rédige L'Avenir de la Nouvelle-Calédonie; conjointement ils écrivent que la rédaction de ce journal est "républicaine et anticléricale (...) ; une partie ne croit à rien (...) l'autre n'a foi qu'en Dieu" (298)... et ils prennent la défense des Maristes dénigrés par L'Indépendant à l'occasion de la laïcisation de l'orphelinat d'Yahoué.

En mai 1890, Bridon quitte L'Avenir et Roger l'accuse d'être passé à l'ennemi. C'est possible, Bridon a peut-être été sollicité de prendre la direction de La France Australe, cela ne devait se faire qu'en février 1892, au départ de Bernier, à qui il reconnut le mérite de lui avoir laissé un journal libre de toute attache. Sous la direction de Bridon, La France Australe fut une feuille très respectueuse à l'égard de la Mission ; Bridon avait-il donc alors abandonné la franc-maçonnerie ? Sans doute. Son changement d'attitude envers le gouverneur Feillet entre 1894 et 1896 est assez trouble, il eut peut-être des motivations peu honorables mais après les éloges qu'il adresse au gouverneur pendant les deux premières années de son mandat, il n'est pas possible qu'il ait sans conviction personnelle profonde déversé ensuite pendant trois ans dans les colonnes de son journal tant de bile haineuse contre lui.

En 1898, Jules Durand est rédacteur à La France Australe. Rappelant les "prises… de plume"que Bridon avait eues avec lui en 1895, Diomède Tommasini, directeur de La Calédonie, après avoir publié quelques extraits de leurs articles passés termine ainsi :

 

"J'ai le droit de demander à M. Bridon comment et pourquoi il a changé d'opinion sur le compte de son collaborateur actuel, car je ne puis croire qu'il aurait accepté sa collaboration s'il avait toujours la même opinion qu'au mois de juillet 1895. Que si sa manière de voir à l'égard de M. Jules Durand n'avait pas changé, j'aurais alors le droit de croire que ce n'est pas spontanément, mais contraint et forcé qu'il publie ses élucubrations.

Et, dans ce cas, il serait intéressant de savoir à qui et pourquoi il a ainsi sacrifié cette indépendance dont il parle si souvent". (299)

 

À quoi, après avoir quelque peu disserté sur le passé, opposé la politique sournoise de La Calédonie à la franche violence de La Vérité et au désintéressement de La France Australe, Bridon réplique ceci :

 

" Parce que la politique suivie, par M. Durand, si elle a eu le tort de se manifester brutalement et de recourir parfois à des personnalités, a eu du moins le mérite, ne vous en déplaise, d'être plus clairvoyante que la nôtre". (300)

 

Jules Durand était alors le chef d'un minuscule parti socialiste local dont il avait jeté les bases à la fin de 1894, quelques jours avant de commencer la publication de La Vérité. J'ai vu dans cette opération une tentative pour organiser une troisième force ayant pour but de briser la dichotomie politique traditionnelle de la colonie. Rappelons-nous que la première manifestation d'une classe ouvrière calédonienne remonte à décembre 1886 : il s'agissait d'une grève des ouvriers typographes. Après cela, certains journaux se proclamèrent socialistes : L'Indépendant en 1889, La Calédonie en 1895 (301) ; toutefois, le seul journal qui ait véritablement affiché des convictions socialistes fut La Vérité. (302)

Cet essai politique n'a pas été une réussite, notamment parce que pour se manifester en Nouvelle-Calédonie, le socialisme s'est trouvé contraint de s'agglomérer à l'une des deux grandes tendances traditionnelles. Le hasard des sympathies ou des antipathies personnelles, certainement plus que l'intérêt, poussa les quelques socialistes de la colonie vers les "cléricaux''ou vers les "radicaux", tant il est vrai que le gouverneur Feillet excellait à créer des divisions.

En même temps que les "grandes compagnies"prenaient le contrôle de l'économie calédonienne, à la fin des années 1880, et que le mot "socialiste" faisait son apparition dans les journaux, se constituait un mouvement antisémite qui, sans troubler grandement l'atmosphère politique établie, apportait un élément nouveau dans les polémiques de presse. L'affaire Dreyfus fut loin de soulever les passions comme en Métropole, en Nouvelle-Calédonie, l'attention se portait plus prosaïquement sur les juifs qui faisaient des affaires dans la colonie. C'était facile, il y en avait dans les deux camps : en 1889, la direction de La France Australe confiée à Laborde fut considérée comme l'alliance des Maristes et des juifs ; et Jules Durand, qui avait eu maille à partir avec Lucien Bernheim, riche mineur, ami de Paul Feillet, s'en donna à cœur joie en utilisant contre le premier toutes les formes d'insultes que la presse antisémite avait imaginées et en publiant contre le second,- apparenté, rappelons-le, à Paul Challemel-Lacour,- l'article qu'Édouard Drumont avait écrit dans La Libre Parole du 2 février 1895 contre le président du Sénat. (D33)

 

3 - Les hommes et les moyens.

 

À l'éloge rendu à sa perspicacité par Édouard Bridon pour avoir le premier eu l'intuition du despotisme du gouverneur Feillet, "du trouble qu'il jetterait dans le pays et de l'échec qu'il préparait à la colonisation", Jules Durand renvoie quelques temps plus tard un écho qu'il exprime en ces termes :

 

" Les déboires, les tribulations de l'existence, les procès en justice, agrémentés de toutes les petites glorioles qui vous enchaînent un homme à la politique ne sont rien auprès des intimes satisfactions que seul le journalisme militant donne à ses adeptes". (303)

 

Cette expression du plaisir que peut procurer quelquefois le métier de journaliste à celui qui le premier a su révéler au public une vérité, n'est pas chose courante dans la presse calédonienne. Le journalisme est une profession qui passe pour apporter plus d'ennuis que d'avantages ; j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer quelques uns des mécomptes apportés par leur prose publique aux éditorialistes trop audacieux ou imprudents : duels, procès, départ plus ou moins forcé de la colonie... La lecture des notices biographiques dont j'ai augmenté la présente thèse permettra de compléter le tableau de cet aspect de la question.

Les chiffres sont rares lorsqu'il s'agit de préciser combien gagnait un rédacteur en chef ou un rédacteur occasionnel. Au hasard d'articles vengeurs, l'on apprend qu'Epardeaux touchait quatre cents francs par mois pour assurer la rédaction du Colon ; pour le même travail, à La Bataille, Ballière percevait cinq cents francs ; et pour sa part, plutôt que de continuer à adresser ses renseignements à Bernier lorsque celui-ci fonde L'Indépendant, Hillairet préfère continuer de collaborer avec Le Néo-Calédonien pour la somme de quarante francs par mois.

Ces sommes pour signifier quelque chose doivent être comparées à quelques prix de marchandises courantes tels qu'ils étaient pratiqués dans la colonie  (304). Le salaire d'un rédacteur en chef permettait de vivre, les primes versées à un rédacteur occasionnel constituaient un appoint que l'on pouvait estimer intéressant mais, sauf en période de chômage, il n'y avait pas là de quoi faire des envieux et, s'il faut en croire Édouard Bridon, Albert Epardeaux a des dettes que les appointements qu'il reçoit au Colon ne devraient pas lui permettre de rembourser avant longtemps ; pourtant, toujours d'après le rédacteur de L'Avenir, Epardeaux ne se prive de rien et vit sur un pied très confortable. Et de demander s'il puise la différence à la table de poker, aux fonds secrets ou ailleurs. (305)

Inutile de préciser que je viens de transposer là un fragment de l'une des multiples, querelles de journalistes qui fleurissaient alors dans les journaux de Nouméa. Seize mois plus tôt, Alfred Laborde ayant "osé dire" que les rédacteurs de L'Avenir émargeaient aux fonds secrets du gouverneur, ceux-ci avaient répliqué :

 

"On nous calomnie quand on sait, à n'en pas douter, que nous n'avons aucune ambition personnelle à satisfaire que nous ne briguons pas les honneurs, que nous ne demandons pas une obole au journal dans lequel nous avons l'honneur d'écrire". (306)

 

Si cela était exact, on se demande bien ce qui incitait Bridon et Roger à rédiger L'Avenir. Le seul plaisir d'écrire et d'être publié ? Même pas, proclame Bridon qui dit "écrire sans espoir de gain, sans prétention littéraire, sans ambition d'aucune sorte", et prétend sacrifier avec naïveté une partie de ses forces et toute son intelligence à la défense de la colonie.

Globalement, c'est peu vraisemblable, Bridon et Roger rédigeaient alors depuis plus d'un an L'Avenir, cela représentait une somme de travail qu'il n'est pas raisonnable de prétendre avoir accompli gratuitement ; mais les conditions qui leur étaient faites n'étaient peut-être pas à ce moment-là si éloignées par certains côtés de la description qu'ils en donnent, ce qui peut expliquer et rendre crédibles les motifs qu'ils avancent de leur proposition de vendre le matériel et le journal au commanditaire du Colon dans les premières semaines de publication de cette nouvelle feuille : ils souhaitent, disent ils, le repos, ayant d'autres affaires et d'autres soins qui absorbent le meilleur de leur temps et n'étant pas journalistes de profession. (307)

En 1888, Bridon, Roger, ne se sentaient peut-être pas encore journalistes, tous deux pourtant devaient le devenir si ce n'était réellement pas encore chose faite. Leur cas, pour exemplaire qu'il soit, est loin d'être unique. Comment et pourquoi devenait-on journaliste en Nouvelle-Calédonie entre 1860 et 1900 ? C'est une question qui appelle de multiples réponses.

- On pouvait tout d'abord devenir journaliste en Nouvelle-Calédonie par la force des choses, c'est à dire plus ou moins contraint et forcé, par une sorte d'appel du destin en quelque sorte, qui se manifestait assez fréquemment par la voix du gouverneur soit parce que l'on était sollicité d'écrire pour Le Moniteur (308), soit parce que l'on avait été relevé de ses fonctions pour avoir par exemple donné clandestinement des articles à la presse. Nous nous trouvons alors en présence de deux cas possibles dont les motivations sont tout à fait différentes : le cas de celui qui perd sa place à son corps défendant et s'engage à fond dans le journalisme militant pour se venger, comme Henri Hillairet; et le cas de celui qui écrit pour être révoqué et rapatrié, nous n'en connaissons qu'un exemple, c'est celui de Pierre Roux.

La force des choses, ce fut avant tout la déportation pour une poignée d'entre eux : Mourot, Roger et quelques autres.

Ce fut le plus souvent le résultat du hasard de l'enchaînement des réussites et des échecs d'entreprises de prospection minière, de colonisation agricole, de commerce : Bernier, Bridon, Legras

- On pouvait devenir journaliste à Nouméa par une sorte de hasard. Achille Ballière avait plusieurs vocations, les deux essentielles, sur le plan professionnel, étaient l'architecture et le journalisme ; une autre, également très importante, se situe dans un registre un peu différent, il s'agit de la politique. Alors qu'il était architecte de formation, le goût de la politique avait conduit Ballière à faire du journalisme et, avec ses camarades de la Commune, en Nouvelle-Calédonie d'où il s'était évadé en compagnie de Rochefort.

Il revint dans la colonie en 1892, pas pour y faire du journalisme. Alors qu'il était à Paris, il avait appris que la municipalité de Nouméa lançait un appel d'offres pour la construction d'une nouvelle conduite d'eau. "Encouragé par M. Sauvan, Maire de Nouméa", il constitua des dossiers et expédia "cinquante lettres" à des entrepreneurs français qui ne daignèrent pas répondre. Il obtint alors d'être "chargé de mission'' par le Gouvernement et revint en Nouvelle-Calédonie. Au mois, de septembre 1892, il est à Nouméa, employé par la municipalité et chargé de la surveillance des travaux de la conduite d'eau à propos desquels il rédige trois rapports alarmants (309). Ce n'est qu'en juin 1893 qu'il fonde La Bataille pour combattre les "grandes compagnies" et défendre Pierre Sauvan contre les attaques de La Calédonie.

- Le journalisme pouvait n'être considéré que comme une étape permettant de se créer une situation lucrative. Il permettait de se faire connaître, de toucher à la politique et de s'en faire un levier pour accéder à une position assurant des revenus confortables. C'est l'itinéraire que semble avoir suivi Bernier à partir du moment où il fonde L'Indépendant,- peut-être même avant,- jusqu'à l'époque où, ayant été élu conseiller général, il œuvre pour que soit votée la laïcisation de l'orphelinat d'Yahoué et que la direction lui en soit confiée. C'est également l'itinéraire suivi par Epardeaux mettant sa plume au service du gouverneur Pardon qui en fait son chef de cabinet.

- Parfois, c'était par ambition politique tout simplement, car, nous l'avons vu, la presse en Nouvelle-Calédonie comme en métropole constituait un marchepied politique des plus efficaces. Avec le cas typique de Routier de Granval, journaliste d'occasion au Progrès pour les besoins de sa candidature à la Délégation, les plus remarquables sont celui de Roger qui, en faisant du journalisme se découvre peu à peu une passion pour la politique et celui de Charles-Michel Simon qui n'écrit pas beaucoup mais finance de nombreux journaux pour qu'ils soutiennent ses multiples candidatures aux élections locales.