D10 - La Nouvelle-Calédonie en juillet 1879

 

1 - La Nouvelle-Calédonie du 9 juillet 1879.

 

Depuis le départ de certains hauts fonctionnaires, nous pensions qu'il n'y avait plus de bonapartistes en Nouvelle-Calédonie. Nous nous étions trompés, paraît-il, et malgré Sedan, malgré la perte de l'Alsace-Lorraine, malgré les désastres et les hontes que la France doit à cette dynastie sinistre, il y a dans Nouméa des hommes et des plus considérables, s'il vous plait, des familiers des salons du Gouverneur, qui ne craignent pas de s'afficher comme appartenant à cette faction détestable. La nouvelle de l'accident survenu chez les Zulus les a plongés dans la douleur ; ils étalent leur deuil, se promènent un crêpe au bras, des violettes à la boutonnière. Nous leur passons le crêpe et même la violette bien que dans les circonstances, la violette soit incontestablement un emblème séditieux dont le port public est puni d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans (art. 6 de la loi du 11 août 1848). Mais il y a mieux que cela : juifs ou chrétiens plus ou moins pratiquants, ils éprouvent le besoin de faire chanter une messe pour le pauvre prince, celui qu'ils appellent pompeusement Son Altesse Impériale. D'après les livres saints, la prière qui part du fond d'un cœur pieux, monte en droite ligne vers le trône de l'Éternel ; mais il faut à nos bonapartistes autre chose que des prières humbles et discrètes, il leur faut un service solennel dans la cathédrale de Nouméa, un catafalque splendide, quelque chose comme un enterrement de première classe pour la dynastie qui leur fut chère. Malheureusement ces messieurs se sont mépris quand ils ont cru qu'il leur serait facile d'associer notre journal à leur petite machine. Nous avons la police de nos annonces payantes ou non payantes, et nous, directeur-gérant du journal, en dépit de toutes les sommations (ces sommations nous fussent-elles adressées par M. le Maire de Nouméa, fonctionnaire de la République, comme c'est le cas dans l'espèce), nous ne publierons ni à la première ni à la quatrième page un avis qui pour nous est une provocation et un défi à la population républicaine de notre ville. Pour tout dire, en un mot, nous ne pouvons ni ne voulons en aucune façon assumer la responsabilité de ce que nous ne craignons pas d'appeler une manifestation séditieuse. Libre à MM. Higginson , Pelletier, Desjardins et de Gimel de prier pour leurs amis; mais nous ne publions pas, même aux annonces payantes, les réclames du parti bonapartiste, surtout quand ces réclames sont un audacieux défi à la République et aux républicains.

La seule chose qui nous étonne, c'est que l'administration tolère un tel scandale dans l'église paroissiale entretenue de nos deniers.

 

Le Directeur-Gérant,

J. BOUILLAUD

 

*

* *

 

2 - La Nouvelle-Calédonie du 16 juillet 1879.

 

Le Journal la Nouvelle-Calédonie, a publié à la date du 9 juillet, sous la signature de son directeur-gérant, un article que nous n'avons pas voulu qualifier, parce qu'il indique chez son auteur un cœur peu généreux, un esprit peu éclairé et passablement dévoyé.

Il s'étonne que des âmes s'attendrissent en présence d'une grande douleur. Il s'étonne que malgré Sedan, malgré la perte de l'Alsace-Lorraine, la dynastie sinistre, comme il l'appelle, ait des partisans à Nouméa. Et pourquoi pas, s'il vous plait ? Elle en a bien en France et d'assez puissants pour faire nommer un député bonapartiste, M. Godelle, à Paris, dans le huitième arrondissement, Paul de Cassagnac, pour la troisième fois, dans le Gers, et le citoyen Blanqui, à Bordeaux.

La mort soudaine et si imprévue du prince impérial touche peu M. Bouillaud, ce citoyen comme on l'était à Sparte.

Exprimer sa douleur en prenant part à celle d'une Auguste Mère, y associer les prières de l'Église, l'exprimer encore par un crêpe au bras, par une fleur à la boutonnière, sont autant d'actes séditieux qu'il dénonce républicainement à l'autorité. Élevant son despotisme à la hauteur de celui de Louis XIV qui disait : l'État c'est moi, M. Bouillaud semblé affirmer, par son étrange conduite, que le Journal la Nouvelle-Calédonie est lui, uniquement lui. Ainsi la rédaction, les caractères, le papier, l'encre, les actions et les statuts feraient partie de sa puissante personnalité, car, de sa propre autorité, il refuse d'y insérer, à prix d'argent, une simple annonce, sous le prétexte qu'elle est entachée d'un caractère séditieux, mais en réalité parce qu'elle déplait à son vieux républicanisme d'ex-fonctionnaire à poigne de l'ex-empire. Nous verrons si les actionnaires de la Nouvelle-Calédoniepartageront, sur ce point, les allures tranchantes et l'intolérance tyrannique de leur directeur-gérant.

…………………………………………..

 

HIGGINSON - PELLETIER - DE GIMEL - DESJARDINS

 

Nous avons bien voulu insérer la lettre ci-dessus malgré son ton agressif à notre égard, et quoique les signataires n'aient pas été désignés dans notre article du 9. Nous avons dit notre pensée au sujet d'une mort récente ; nous aurons encore à développer cette pensée quant aux conséquences de cette mort ; nous nous proposons d'y revenir en répondant à cette apologie faite du gouvernement tombé à Sedan, dans un journal qui sera républicain tant que nous aurons l'honneur de le diriger.

 

J. BOUILLAUD